Vous l'aurez deviné, j'ai une passion sans limite pour tout ce qui concerne la nature, et au moins autant de plaisir à la partager.
Avec mon fils Rémi, biologiste de formation, nous nous sommes amusés à écrire quelques biographies naturalistes. Elle sont rangées de la plus récente à la plus ancienne. Bonne lecture !
NB : pour ce qui concernent les publications de Rémi, je vous renvoie à https://uumajuq.com/
Chacun de ces "personnages" peut être au centre d'une randonnée, à vous de voir si vous avez envie de découvrir l'un ou l'autre de nos amis.
Par ordre d'apparition :
Les petites chouettes de montagne
L'aigle
Le mouflon
Le cerf
Les orchidées
Le Blaireau
Le castor
Le chocard
La marmotte
Le bouquetin
Le gypaète
Le Chamois
Le renard
Tout s'est précipité à la fin d’un hiver sans neige. Au hasard de rencontres naturalistes ; l'esprit libéré des contraintes et injonctions professionnelles, j'ai pris le temps de me consacrer avec un peu plus d'assiduité à la recherche des chevêchettes et des Tengmalms. Car du temps il en faut. L’écoute se fait à l’aube et (ou) au crépuscule et pendant la nuit pendant la période favorable de février à avril.
Les dernières imitations d’une grive musicienne tirent derrière elles le silence de l’obscurité qui arrive. Tout à l’heure encore, les frondaisons bruissaient des chants des mésanges, des pinsons et du rouge-gorge. Une hulotte chante, des chevreuils se poursuivent sur le pré en contrebas en aboyant comme des chiens fous…Les oreilles aux aguets, la veille commence. C’est une communion avec la forêt et le peuple de la nuit. La pollution sonore et visuelle peut rendre l’attente pénible tant il est vrai que dans notre région les avions et l’omniprésence de l’homme gâchent un peu la fête…
La plus petite a ouvert le bal un seize février (le compteur dit Rémi). Je l'avais déjà entendue (notamment dans le massif des Voirons mais plutôt en septembre) mais encore jamais vue. La découvrir au sommet d'un épicéa jetant sa note tendue avec constance m'a rendu aussi heureux qu'un enfant découvrant ses cadeaux un matin de Noël.
Malgré son air revêche, la chevêchette est sociable et ne fuit pas l'homme. Seul rapace nocturne à avoir une activité diurne, elle est visible de jour et jusqu'au crépuscule. En journée, sa présence peut être signalée par les cris de harcèlement des passereaux, ses proies favorites ! Mais si elle est posée à l’ombre d’une branche à mi-hauteur d’un épicéa, au repos ou à l’affût, les chances de l’apercevoir sont infimes. Heureusement c’est une chanteuse ! Dès février et parfois jusqu’en juin, elle pousse un chant monocorde qui ressemble un peu à celui du bouvreuil mais plus puissant (il porte à plusieurs centaines de mètres). Un " tu" bref et fluté assez aigu suivi souvent de quelques notes descendantes scandées et comme aspirées "ptui ptui ptui ptui…". La femelle chante aussi mais sur un ton moins affirmé. En automne les lutins des deux sexes ont des intonations territoriales avec des accents ascendants pour marquer leur territoire. Comme c’est le cas pour tous les rapaces nocturnes, il existe de nombreuses variations qui peuvent induire le chouettologue amateur que je suis en erreur.
De la taille d'un étourneau, ce petit diablotin occupe dans nos forêts boréales des biotopes de vieilles hêtraies-pessières avec des clairières et des cavités pour stocker ses proies et établir ses nichées. Les cavités sont généralement celles creusées par le pic épeiche ou le pic tridactyle entre 1000 et 1800m d’altitude.
Le lutin est une fée du logis ! Elle nettoie sa loge avec constance, ce qui constitue un bon indicateur de présence au pied d’un arbre percé. Les pelotes de 2.8/1.2 cm révèlent une alimentation essentiellement aviaire (elle aime les oiseaux ! Jusqu’à la taille d’une grive ! Elle ne doute de rien !).
Le couple est fidèle et règne sur un territoire aux dimensions conditionnées par la quantité de proies et de trous disponibles. Une étude allemande estime que le territoire est en moyenne de 1.4 kilomètre carré.
La ponte est généralement déposée en avril et la couvaison dure un mois. Pendant cette période, le mâle ravitaille sa femelle matin et soir. Les jeunes restent dans la cavité encore un mois puis sont encore nourris à l’extérieur par les parents pendant quelques semaines.
Si elle échappe à ses prédateurs, la chevêchette peut vivre sept ans. Mais gare à l’autour, à l’épervier, à la martre…Parfois aussi la hulotte et la Tengmalm !
Et elle, qu’est-ce qu’elle mange ? Comme déjà évoqué, des oiseaux, et, à part plus ou moins égale selon le milieu, la saison et la disponibilité : des micromammifères.
Avant de la quitter, je voudrais comparer la chevêchette à une sorte de gros troglodyte tout en nerf. Comme lui, elle est sans cesse en mouvement et manifeste son humeur de mouvements de queue émouvants.
La chouette de Tengmalm m’a donné la chair de poule un jeudi 7 mars. Je rentrais d’une prospection de deux heures au crépuscule quand, au-dessus d’une clairière, elle s’est mise à chanter. Je suis resté vingt minutes immobile, à écouter sa mélodie dans l’air glacé. Un pou pou pou pou pou incroyablement fluté, doux et sonore. Son chant porte à plusieurs centaines de mètres, ce soir-là, il perçait la brume et mon âme comme une sonate à l’ocarina.
Si le lutin est lié aux trous de pics épeiches, la "chouette perlée" est souvent associée au pic noir dont elle utilise les loges.
Moins monogame que sa petite cousine, la Tengmalm reste en couple pour une saison, et encore, les "bonnes années" à rongeurs, la bigynie (un mâle et deux femelles) et la biandrie (une femelle et deux mâles) sont de règle. De mœurs moins casanière que la chevêchette, la Tengmalm est étroitement lié à l’abondance de proies qui sont essentiellement des rongeurs et ses effectifs sont extrêmement fluctuants d’une année sur l’autre. Par ailleurs, elle change régulièrement de logement et ses territoires de chasse peuvent être très grands.
Avec sa grosse tête ronde, son plumage brun tacheté de taches blanches, ses grands yeux jaunes, la Tengmalm a un air plutôt sympathique. C’est drôle de la voir surgir de son trou quand on gratte la base du tronc.
Quand il veut proposer une loge à sa belle, il arrive que le mâle "chante dans le trou" dans lequel il aura pris soin de déposer une proie, le son ressemble alors à un glou glou étouffé.
La femelle qui couve seule ne quitte pratiquement pas le nid pendant six à sept semaines. Le mâle ravitaille et continuera sa tâche après l’éclosion. A l’approche des parents, les bébés chocolat quémandent en émettant un cri qui ressemble aux trilles d’un grillon. Ils sont nourris pendant un mois environ avant de quitter leur gourbi (chevêchette, tu devrais venir faire un peu de ménage). Puis sont nourris à l’extérieur pendant encore au moins un mois.
Le pourcentage de réussite des nichées est faible. Entre les maladies, la prédation, l’inondation, le manque de proies…Avant d’arriver à la maturité sexuelle (dès un an mais plutôt deux) et jusqu’à l’âge canonique de quinze ans, la chouette perlée aura bien des épreuves à traverser.
Dans l’invraisemblable accélération du temps qui embrase nos sociétés du tout prêt tout de suite. Renouer avec la patience de l’écoute nocturne des petites chouettes est salutaire et rassurant.
Remerciements :
Baptiste Deturche (baptistedeturche.com) et Emile Séchaud (emilesechaud.com) pour leurs conseils, accompagnements et photographies.
Bibliographie :
Les rapaces de Paul Géroudet (Delachaux et Niestlé) 1965
Les rapaces nocturnes du collectif Baudvin, Genot, Muller (Sang de la Terre) 1991
LPO site rapaces
L'aigle royal
Mes amis me disaient souvent "et l'aigle, tu n'as rien écrit sur l'aigle !..."
En me formant avec la LPO à l'observation et à la surveillance du seigneur des montagnes, j'ai pu progresser dans la connaissance de son écologie et mieux comprendre ses comportements. Je suis affecté à la surveillance des aires situées entre la Dranse et le Brevon.
Par exemple, je peux maintenant vous dire que l'aigle qui illustre cet article (photo prise par Rémi au Haut Féron il y a déjà quelques années) est un individu immature erratique de troisième année civile, comme en témoigne son plumage aux marques blanches encore très prononcées.
L'aigle nous accompagne presque toujours en rando, et parfois tout près de "chez nous". Le reconnaître en vol sans le confondre avec un autre rapace n'est pas simple, mais avec l'habitude, on le reconnaît à ses larges orbes et à son envergure imposante, rémiges largement ouvertes, incurvées vers le haut. Agacé par les corbeaux, rivalisant de finesse avec le gypaète, posé tel un roi au sommet d'un épicéa ou sur la croix d'une arête, il domine son territoire, fier et noble...
Le jeu est de déterminer qui est cet aigle qui nous observe sans jumelle (il peut voir une marmotte à 1 km !). Juvénile ? Immature ? Sub-adulte ? Adulte ?...Sur le territoire numéro 36 ? (chaque zone occupée est référencée). Revenir dans quelques jours pour vérifier qu'il est encore dans le coin...
Justement, il y a quelques jours, j'étais au dessus des chalets de la Buchille pour une prospection d'aire. Deux tétras lyre se mesuraient quelque part derrière un rideau d'épicéas, je ne voulais surtout pas déranger leur joute, trop m'approcher de leur arène et les faire fuir. Je mes suis assis dans l'herbe humide, un merle à plastron s'égosillait à quelques mètres. Tout à coup, un aigle est passé lentement, incroyablement lentement, il m'a bien regardé et puis a continué son plané sans le moindre mouvement. J'ai espéré le revoir plus tard, il y avait une troupe de chamois sur les plaques d'herbe dégagées par les avalanches du versant sud. Mais je ne l'ai pas revu. Pas vu d'aire non plus...S'immerger dans l'absolu aléatoire de la montagne, accepter de ne pas voir l'animal espéré, comprendre les inconnus rencontrés, apprendre à les observer, peut-être les dessiner...Ainsi va la vie d'un naturaliste amateur qui se perd en suivant les traces d'une martre et qui rêve de voler...
Le moment est venu de vous révéler un peu ce que j'ai découvert au long de mes balades et de mes lectures.
Comme tous les rapaces, l'aigle royal a bien failli disparaître. Entre 1950 et 1970, ce sont plusieurs millions de rapaces qui ont été abattus en Europe, notamment en France et en Allemagne, et le plus souvent en contrepartie d'une "prime d’encouragement". Ainsi, sans aucune distinction, toutes les espèces qui portaient des serres et un bec crochu ont été condamnées à mort par tous les moyens : battues, affûts, piégeages, appâts empoisonnés, abattages des reproducteurs, destruction des aires et des nichées…Tout était permis.
Il est désormais protégé par de nombreuses conventions internationales.
Généralités
L'aigle royal est un grand rapace brun sombre parsemé de brun clair. La calotte (dessus et arrière de la tête) est de couleur fauve avec des reflets dorés, plutôt rousse chez les jeunes individus, d'où son nom d'aigle "royal". Le plumage des juvéniles est marqué de blanc au niveau des rectrices (plumes de la queue) et à la base des rémiges (5, 6 grandes plumes à l'extrémité des ailes) ; blanc pur qui va s'estomper au fil des mues pour disparaître complétement quand l'oiseau sera adulte vers 5 ou 6 ans. L'aigle royal a une arcade sourcilière très développée. Ce qui diminue l'éblouissement et protège son œil de la pénétration dans l'air lors des piqués et contre le branchage quand il poursuit une proie en milieu forestier. Il a une vue au moins huit fois plus performante que la nôtre et il est probable que comme le faucon crécerelle il ait une vision dans les ultraviolets. Il a de longues pattes emplumées jusqu'au bout des tarses. Les quatre doigts, trois devant et un derrière, sont recouverts d'une peau écailleuse et sont armés d'énormes serres. L'avillon (la serre de derrière) est la plus grande, elle mesure de 6 à 7 cm. Avec une pression de l'ordre de 250 Kg au cm carré, l'aigle royal peut transpercer un crâne d'ongulé.
Ordre : Falconiformes
Famille : Accipitridés
Espèce : Aquila Chrisaetos
Mâle - Femelle
Taille : 78cm - 95cm
Envergure : 2000cm - 2200cm
Poids : 4,5Kg - 6Kg
Maturité sexuelle : entre 4 et 7 ans
(mais 10 ans peuvent s'écouler avant qu'un couple nouvellement constitué s'installe durablement).
Longévité moyenne : En nature 25 ans et 40 en captivité.
Distribution : Eurasie, Amérique du Nord et Afrique du Nord.
Estimation des couples: Europe 7000, France 454 (Alpes 260, Haute Savoie 48, Pyrénées 70, Drôme 42, Corse 40, Massif Central 30, Corbières 15, Jura 3 ).
Dimorphisme sexuel : Femelle 1/3 plus grosse que le mâle
Habitat :
L'aigle royal fréquente les milieux escarpés ou alternent forêts, clairières et steppes. Il installe ses aires à une altitude moyenne de 1500m, en dessous du territoire de chasse, ce qui lui permet de "descendre" ses proies.
Régime alimentaire :
L'aigle royal se nourrit essentiellement de proies de taille moyenne (lièvres, lapins, renards, jeunes ongulés, écureuils, rongeurs, oiseaux). Il chasse en fonction des ressources et de l'opportunité. A l'occasion il peut être charognard. Il est capable de voler avec une proie de 3 kg. Les besoins alimentaires d'un aigle adulte sont de l'ordre de 230 grammes de viande par jour, soit environ 100 kilogrammes par an (1% du potentiel alimentaire de son territoire).
Mode de vie :
L'aigle royal vit en couple tout au long de l'année sur un territoire de taille très variable d'une zone à l'autre, essentiellement en fonction des ressources. En Haute Savoie, il est en moyenne de 80 km carré, mais il peut être beaucoup plus petit (25 km carré) ou beaucoup plus grand (100 km carré ou plus). Pour comparaison, un couple de buse s'installe sur un territoire d'environ 85 hectares.
Les juvéniles quittent les parents entre le cœur de l'automne et la fin de l'hiver. Commence pour eux une longue période d'errance (3 à 5 ans) pour trouver un partenaire et un territoire suffisamment calme et giboyeux. Sur douze jeunes, ce que produit un couple au cours de sa vie dans des conditions favorables, seulement trois parviendront a l'âge adulte et formeront un couple.
L'aigle royal effectue des parades tout au long de l'année pour marquer son territoire. Ses vols s'intensifient pendant la période qui précède la nidification (vols en feston). Des accouplements peuvent avoir lieu tout au long de l'année sans un but de reproduction, leur fréquence s'intensifie avant la période de nidification. Ils ont lieu sur un monticule ou un perchoir calme. C'est la femelle qui décide en adoptant une position où son corps est à l'horizontal. Le mâle monte sur elle les serres fermées et les ailes ouvertes pour tenir l'équilibre. Les deux oiseaux déplacent leur queue latéralement et le mâle s'abaisse afin que les deux cloaques se touchent. Ceci ne dure pas plus de 20 secondes.
Techniques de chasse :
L'aigle royal est un grand planeur, il se sert des ascendances et pratique le vol de pente pour parcourir son territoire de chasse. Une longue période de mauvais temps (pluie, brouillard) peut lui porter préjudice. Il chasse a l'affût ou en volant a basse altitude en épousant le terrain pour attaquer par surprise. Le couple peut s'entraider, notamment sur les attaques de marmottes. Un des deux partenaires fait un premier passage, ce qui génère un stress sur les proies convoitées. Dès que le danger semble disparu, le deuxième aigle en profite pour faire une attaque surprise. Les vols d'attaques finissent généralement par un piqué, l'oiseau tend ses pattes en avant pour saisir la proie avec ses serres et déploie ses ailes et sa queue pour freiner sa chute. Si il échoue, l'aigle royal ne poursuit pas le gibier sur de longues distances. Pour des proies de taille respectable, avec l'expérience, il estime ses chances de réussite afin de ne pas dépenser de l'énergie inutilement. Les petites proies sont "cueillies" en vol.
Parades nuptiales :
La saison de reproduction de l’Aigle royal débute au mois de novembre. A ce moment de l’année, on peut observer une recharge d’une ou de plusieurs aires et les vols territoriaux et nuptiaux se font plus fréquents. Le choix de l’aire de reproduction intervient plus tard.
La période des parades s’étale de décembre à mars. Spectaculaires, les parades comportent des acrobaties et des jeux aériens : longs piqués, vols en festons, retournements et accrochages de serres à serres, offrandes de proies. Il y a deux types de parades nuptiales aériennes : un piqué au cours duquel l’oiseau qui vole le plus bas se renverse sur le dos et se défend en tendant les serres, et le vol en « festons », sinusoïdal, pendant lequel l’Aigle royal alterne piqués « ailes au corps » et remontées avec battements d’ailes.
Les premiers accouplements de janvier marquent le début de la reproduction proprement dite. L’Aigle royal est monogame, mais des trios avec deux femelles ont toutefois été signalés. Le couple marque fortement son territoire par des vols caractéristiques : simulations d’attaques, vols en festons, poursuites, piqués… Il est peu combatif, même s’il est territorial. Il se limite à de simples manœuvres d’intimidations, voire à de rares poursuites. Cependant, il arrive que de véritables combats éclatent lorsqu’un oiseau étranger pénètre sur un territoire de nidification. Seuls les environs du nid sont réellement défendus.
Nid : (l'aire est utilisée uniquement pour la reproduction, ce n'est pas la "maison" de l'aigle !)
Le nid se trouve soit dans une paroi rocheuse soit dans un grand arbre, en contrebas du territoire de chasse.
En France la majorité des couples nichent en falaise. Ceci est surement la conséquence de leur persécution jusqu'aux années 1980. Les nids se trouvant dans les arbres étaient facilement détruit, il est probable que les survivants on étés élevés dans des falaises inaccessibles. L'aire est constituée de branches plus ou moins grosses qui sont ramassées à même le sol ou cassées. La coupe recevant les œufs est constituée de branchages avec des feuilles. Le couple dispose souvent de plusieurs aires qu'il utilise alternativement d'une année sur l'autre. Certains nids ont plusieurs dizaines d'années et sont énormes.
Chez nous, la distance séparant deux aires de deux couples distincts est d'au moins 2.5 kilomètres.
Nombre d'œufs :
La femelle pond un à trois œufs (8/6 cm environ) subelliptiques courts, blanc mat, souvent tachés de roux, brun, gris à Intervalle de 3 à 4 jours.
Incubation :
En règle générale, la femelle assure la couvaison, cependant des observations ont démontré que certains couples se la partagent, mais il semblerait que cela soit rare. Paul Géroudet écrit que le mâle remplace la femelle lorsque celle ci doit aller se ravitailler. Le mâle assure environ de 6 à 20 % de la couvaison.
La couvaison dure 43 - 45 jours.
Attention : Les deux parents sont très sensibles aux perturbations extérieures. Ils font la différence entre des activités régulières et un acte inhabituel. Exemple : pas d'inquiétude particulière pour un groupe de promeneurs qui emprunte le chemin en contre bas de l'aire mais que l'un d'entre eux s'écarte du groupe et pointe des jumelles vers l'aire voire signale bruyamment sa découverte aux autres, le "couveur" s'enfuira le plus discrètement possible pour monter très haut dans le ciel afin de surveiller de loin son aire et n'y retournera que le danger passé. L'absence de la femelle fait courir aux œufs ou aux aiglons un risque d'hypothermie voire un acte de prédation. Si ces perturbations venaient à se répéter trop souvent le couple abandonnerait le site définitivement.
Il est rare que les deux poussins survivent, dans la plupart des cas, le couple n'élève à terme qu'un seul aiglon.
Premier envol :
L'aiglon reste 9 à 12 semaines au nid. Pendant près de 40 jours, il est nourri par la femelle des proies apportées par le mâle. Progressivement il apprend à déchiqueter les proies que ses parents lui apportent. A environ 50 jours, le jeune s'exerce au vol, ils prend son essor vers 63 - 70 jours.
Il éclot avec un duvet blanc gris qu'il gardera pendant 5 à 6 jours. Il sera remplacé par un second duvet blanc plus épais et plus "laineux" qui sera totalement en place 15 jours plus tard. Les premières plumes apparaissent vers le trentième jour. Un aiglon pèse 100 grammes à l'éclosion, 4 kg pour une femelle et 3 kg pour un mâle au moment de l'envol. Les dernières semaines avant le premier envol, l'aiglon montre son caractère. Il peut être impatient, parfois déterminé, souvent maladroit, d'autrefois timoré ou très calme. Les parents s'adaptent.
Le premier envol survient après une dizaine de semaines (mi juillet). Il est souvent maladroit et de courte durée. Il peut arriver lors d'un battement d'aile d'entrainement maladroit, qui fait basculer l'aiglon dans le vide.
Émancipation :
Les jours suivant son premier envol, l'aiglon reste proche du nid. Il s'entraîne par petits vols successifs et appelle régulièrement ses parents car il est toujours en demande de nourriture. Les parents le localisent par ses cris et le nourrissent une à deux fois par jour. Ils passent beaucoup de temps à chasser. A la mi septembre, soit environ 2 mois après le premier envol, l'aiglon a fait d'énormes progrès et il peut maintenant suivre ses parents à la chasse avant d'y participer. La famille sillonne tout son territoire. Au cour du mois novembre le jeune et ses parents vont progressivement se séparer. Au cœur de l'hiver le couple à la veille d'une nouvelle reproduction va repousser l'aiglon en dehors de son territoire en lui infligeant des attaques qui deviendront de plus en plus violentes et fréquentes. Il est possible que le couple tolère la présence de l'aiglon, indice que le couple s'accorde une pause et qu'il n'y aura pas de reproduction cette année.
Nomadisme :
Avant de devenir adulte, l'aigle erre de territoire en territoire et se fait repousser a chaque fois qu'il rentre dans un domaine déjà occupé par un couple d'aigles royaux. Il peut se regrouper avec d'autres sujets immatures sur un même endroit. Ne pouvant se contenter que des sites les moins giboyeux, ayant peu d'expérience, les jeunes aigles ont de grosses difficultés à survivre. Jusqu'à 80 % de mortalité chez les immatures.
Signes particuliers :
Certains observateurs croyaient que les membres de cette espèce sont unis pour la vie, si bien que si l’un des partenaire du couple vient à mourir l’autre reste seul pour le restant de ses jours. De récentes études démontrent que l'aigle royal est effectivement très fidèle mais seulement à son territoire. Si l'un des deux disparaît il est remplacé.
L'aigle royal, comme beaucoup de rapaces est un chasseur parfait. Il ne chasse que les proies faibles, malades, faciles, lui permettant le meilleur rapport dépense énergétique/apport calorifique. En laissant les sujets les plus vaillants, donc les plus aptes à la reproduction, il assure la pérennité de l’espèce. Une fois qu'il aura prélevé une partie d'un cheptel de lapins par exemple sur un territoire donné, le reste devenant plus méfiant, plus rare, donc plus dur à capturer, l'aigle ira chasser sur d'autres territoires ou d'autre espèces. Peut- être y reviendra-t-il l'année suivante quand les effectifs auront remonté.
Vous voilà un peu informés. L'aigle a fait l'objet d'une multitude d'études et de publications, à vous de chercher dans la littérature et sur le net les données scientifiques récentes.
Pour moi, la lecture de l'ouvrage de Paul Géroudet, "Les Rapaces" chez Delachaux et Niestlé reste un incontournable.
Coté vidéo, ne manquez pas l'incontournable "vertige d'une rencontre" de Jean-Michel Bertrand.
Philippe le 25 mars 2016
Suivi du couple territoire n° 36
Printemps 2016, échec de la couvaison.
Printemps 2017 (photo digiscopie ci-dessus, couvaison normale). Naissance de l'aiglon vers le 10 mars, mort de l'aiglon vers le 20 mai.
2018 : pas d'occupation de l'aire. En revanche, un couple (48) a pondu à Mégevette, malheureusement les deux aiglons n'ont pas survécu.
2019 : le couple 36 a niché sur l'aire de Pététoz, pas de naissance repérée. 2020, 2021 pas d'observation. Juin 2023, un jeune à l'envol à Grand Souvroz !
Des moutons sauvages !
Depuis l'été 2013, je surveille une petite troupe de mouflons mâles qui vadrouillent entre Chalune et le Roc d'Enfer. Ces animaux que je cherchais depuis des années sur Ubble occupent désormais une zone magnifique où j'ai grand plaisir à les observer.
A priori pourtant, rien n'encourage à valoriser ces animaux introduit à des fins cynégétiques dans les années 1950, mais leur comportement est intéressant et ce sont de magnifiques animaux farouches aux cornes impressionnantes, rien à voir avec ceux du Marquenterre qui font un peu "moutons".
Dans l'attente d'une synthèse, trouvez toutes les infos sur ce site de l'OFB
http://www.ofb.gouv.fr/Connaitre-les-especes-ru73/Le-Mouflon-mediterraneen-ar768
Depuis l'été 2013, je surveille une petite troupe de mouflons mâles qui vadrouillent entre Chalune et le Roc d'Enfer. Ces animaux que je cherchais depuis des années sur Ubble occupent désormais une zone magnifique où j'ai grand plaisir à les observer.
A priori pourtant, rien n'encourage à valoriser ces animaux introduit à des fins cynégétiques dans les années 1950, mais leur comportement est intéressant et ce sont de magnifiques animaux farouches aux cornes impressionnantes, rien à voir avec ceux du Marquenterre qui font un peu "moutons".
Dans l'attente d'une synthèse, trouvez toutes les infos sur ce site de l'OFB
http://www.ofb.gouv.fr/Connaitre-les-especes-ru73/Le-Mouflon-mediterraneen-ar768
Un cri dans la brume, le cerf est revenu.
Samedi 15 septembre, il est 6h00, à cette heure ci, la nature s’éveille. Les mésanges sortent de leur sommeil avec de petits cris, nous aussi on se lève…
Le soleil pointe à peine le bout de ses rayons que déjà nous sommes au Monastère des Voirons. A chaque automne, un son étrange monte de la forêt. Un cri, signal du début de l’agitation. Durant plusieurs semaines la forêt calme et silencieuse s’anime et résonne de toute part. Le brame a commencé…
Depuis de nombreuses années, les cerfs élaphes nous donnent rendez vous à la mi-septembre dans cette réserve reculée, perdue sur les hauts de Boëge. Ce matin la lumière est douce, le vent est quasi nul, il y a un petit air frais. Les conditions sont idéales, espérons que le spectacle sera à la hauteur du panorama : les couleurs rosées qui baignent le Mont-Blanc sont sublimes…
7h00, cette fois nous somme parés, quelques habits sombres, une paire de jumelles et nous voilà partis. Quel silence sur le sentier qui mène au sommet, pas le moindre bruit, chacun marche en regardant ses pieds, la tête encore à moitié sur l’oreiller. Pourtant ils sont là, on le sait, mais toujours aucun son…
Nous arrivons sur la crête, de grandes herbes jaunes couvertes de rosée brillent dans les premiers rayons de soleil. Ça et là l’herbe parait couchée, en contrebas, une souille. Pas de doute, des animaux ont passé la nuit ici. Les prairies accueillent des chamois, ceux-ci ont été introduit pour la chasse et se sont habitués à leur milieu, ils sont devenus des chamois forestiers aux couleurs plus sombres que leurs congénères d’altitude.
Émerveillés par les lumières matinales, nous nous asseyons quelques minutes afin de nous imprégner de cette chaleur douillette qui nous fait oublier que la couette est bien loin. Soudain un bruit nous tire de notre torpeur, un mugissement rauque sorti tout droit de la forêt, unique et bref, mais pour nous le message est clair : ils sont là. L’enjeu désormais, réussir à entendre et à observer sans déranger… Un sacré challenge car l’animal est farouche et le faire fuir est un échec. On peut d’ailleurs se demander si un trop grand nombre de dérangements ne risque pas de compromettre la reproduction.
On entame alors la descente, un coup d’œil dans la pente nous fait remarquer un arbre qui s’agite bizarrement… Un pas de plus, un pas de trop, les biches qui mangeaient tranquillement nous ont vus, elles disparaissent à la lisière en un éclair. Il va falloir être plus discret…
Nous continuons la descente en traversant la prairie en direction d'une combe, petit à petit la forêt est envahie par les cris des mâles en rut. Chaque automne, à la saison des amours, les cerfs se regroupent sur des places de brame, des parcelles de forêt généralement isolées où se rejoignent les animaux des régions alentours. Les mâles se jaugent alors, chacun essayant de défendre son territoire contre ses rivaux. Pour les êtres humains que nous sommes, les limites de ces territoires paraissent mal définies. En réalité tout est question d’olfaction, chaque mâle marque sont territoire de son odeur en se frottant contre les arbres ou en urinant. Les femelles ne sont pas réellement concernées par ces querelles, elles rejoignent simplement le mâle qui leur convient, choisissant généralement celui qui a le plus d’influence sur ses congénères.
C’est en bramant et en multipliant les démonstrations de forces que les cerfs tentent de rassembler des biches autour d’eux pour former leur harem. Le plus souvent les mâles les plus forts éloignent leurs rivaux d’un simple cri mais lorsque les deux mâles sont de force égale, cela tourne au combat. Ils sont assez rares mais très violents, un mâle peut atteindre 200 kilos, 200 kilos de muscles dopés à la testostérone qui foncent sur son rival ! Ces joutes s’entendent très loin à travers la forêt, le son des bois qui s’entrechoquent fait trembler la terre, certains individus payent de leur vie ces luttes pour la reproduction, j’ai eu la chance d’assister un jour à un de ces combats et j’en garde un souvenir qui me donne la chair de poule tant l’intensité de la vie sauvage se révèle dans cet affrontement.
Nous progressons discrètement sous le couvert des arbres, un mâle brame à 500m devant… Il est loin, on force un peu l’allure, soudain sorti de nulle part, un autre mâle surgit juste au dessus de nous, durant quelques secondes il nous toise et cherche à savoir ce que nous sommes. C’est un magnifique 16 cors, chez les cerfs on classe les mâles par catégories de « cors ». La méthode est simple, on désigne par « cors » les différentes pointes portées sur un bois, toutes portent un nom. A partir de la base, la meule, on distingue l’andouiller de massacre, le surandouiller, la chevillure, l’enfourchure ou l’empaumure…On multiplie par deux ce nombre de pointes et on a la taille de la ramure du cerf *, ainsi un 16 cors aura 8 pointes sur chaque bois. Toutefois il n’y a pas de réelle correspondance entre le nombre de cors et l’âge de l’animal (la seule façon de connaître l’âge exact d’un cerf, qui peut vivre quinze ans, c’est l’état de sa denture), cela reflète plutôt son état de santé, lui-même directement en relation avec le milieu.
* Une ramure qu'il perdra en mars et qui repoussera en velours au cours des cinq mois suivant.
Son verdict est sans appel : « humains », il disparaît en contrebas entraînant avec lui sa harde de biche… La chance est avec nous mais nous allons devoir être plus attentifs d’autant que les hardes sont déjà bien formées et les bréhaignes, les vieilles femelles expérimentées, ne manqueront pas de donner l’alerte !
Petit à petit nous avançons dans la forêt qui retrouve son calme, comme par enchantement les animaux se sont tus, l’effervescence fait place à la sérénité. D'un repli de terrain montent les rots d’un mâle soucieux de conserver ses femelles, nous décidons d'aller à sa rencontre… Le soleil commence à percer entre les arbres, la pelouse forestière sous les grands épicéas est inondée de lumière. Malgré notre approche discrète le mâle ne se montrera pas, il remonte la pente et disparaît sur l’autre versant. Encore raté… Nous entamons nous aussi la remontée, ce coin de la combe est superbe, une clairière dégagée offre l’endroit idéal pour un affût, perdu dans mes pensées je suis soudain surpris par un vacarme venant du dessus. Une troupe de sangliers débarque dans la clairière à une quinzaine de mètres de nous, quatre laies et douze bêtes rousses (des jeunes de l’année). Ils sont guidés par une laie âgée qui les conduit droit sur nous… Le cœur s’accélère, où vont-ils s’arrêter ?! Un brusque virage détourne la petite troupe de notre axe, une laie s’arrête quelques secondes, nous observe puis repart, les « cochons » remontent dans la pente et disparaissent dans les épicéas. Nous reprenons la montée avec le sourire, ce n’est pas tous les jours que les animaux viennent nous voir et pas l’inverse !
L’émotion passée, nous reprenons notre ascension. Arrivés sur un petit sommet, plus un bruit, à nouveau la forêt s’est tue…Nous choisissons tout de même de descendre un peu en direction de Boëge, il y a en pleine forêt les ruines d'une ferme, vestige d’une époque pas si lointaine au cours de laquelle cette forêt n’existait pas. Des champs, des prés et des alpages à perte de vue. On retrouve un peu partout dans cette zone de vieilles ruines, témoignages de ce passé agricole aujourd’hui disparu, remplacé par nos vastes forêts. Le massif des Voirons bénéficie maintenant de l’arrêté préfectoral de biotope APPB017 Massif des Voirons en date du 12-01-1987 d’une superficie de 975 ha. Cette réserve avait été créée en vue de protéger l’habitat du Grand Tétras aujourd’hui malheureusement disparu. Le site est également classé Natura 2000 en raison de la présence du lynx.
Nous suivons maintenant une courbe de niveau afin de nous éviter une remontée trop pénible. Un mâle se met à bramer à une centaine de mètres au dessus, il regroupe ses femelles. Le terrain peu couvert ne nous permet pas de nous approcher à moins de 80 mètres, on se cale contre un arbre et on attend…la visibilité et réduite mais une chose est sûre, ça bouge là-haut ! Une femelle apparaît entre deux arbres, elle nous fixe pendant plusieurs secondes, si elle ne peut nous entendre chuchoter, elle nous distingue parfaitement. On pense souvent à tort que nombre d’animaux ne distinguent pas les couleurs, il n’en est rien ! Les cervidés distinguent les couleurs, certes avec moins de nuances que nous mais ils compensent cela avec une rétine très riche en bâtonnets sensibles à la lumière qui renforcent la détection des mouvements. Il est donc primordial de ne pas bouger, et si possible de s’habiller avec des vêtements sombres, sans oublier de progresser contre le vent pour, rappelons le encore une fois, ne pas déranger. Trois cerfs occupent les abords d’une clairière, l’un d’entre eux garde à grands cris treize biches suitées de bichettes et de hères, un autre n’a que quatre biches plus âgées. Un daguet (un jeune mâle de un ou deux ans) imite comiquement ses aînées en quelques tentatives de chevrotements. Dans environ 230 jours, les biches qui auront été couvertes mettront bas un faon (rarement deux) dans le secret de ces forêts, tandis que les mâles, venus souvent de très loin, resteront seuls ou en petits groupes jusqu’à l’automne prochain. Un signal invisible, hormonal, tellurique, magnétique, les poussera alors à rejoindre les places de brame, comme ils font depuis toujours, au point de marquer les esprits des premiers hommes et d’imprimer définitivement aux tréfonds de nos gènes la marque indélébile de leur présence de seigneur.
Cette année, papa, qui a passé plus de quarante heures auprès des cerfs estime qu’une douzaine de mâles fréquentaient les Voirons. Une proximité qui lui a permis de cerner les territoires et même de reconnaître certains individus à leur « voix ». Combien à Sixt à Entremont ou à Seytroux, autres places de brame. J’espère que nous aurons l’occasion d’entendre le raire encore longtemps !
Photo Philippe
Rémi Munier, octobre 2011
Suite à l'article le 5 novembre 2012.
Un visiteur du site nous a fait remarquer, suite à la lecture de cet article, qu'il était imprudent de nommer les lieux de brame avec précision. La remarque ne manque pas de pertinence même si le ton du message était plutôt violent. Aussi, volontairement, nous avons modifié le texte pour rester dans le vague sur les sites de brame. Ceci dit, toute personne qui souhaite entendre le brame a le droit de se rendre à proximité des Voirons pour profiter de ce moment rare. Y-a-t-il trop de monde dans les Voirons au moment du brame ? Une trop grande pression humaine peut-elle influencer profondément et durablement le comportement des animaux ?
Probablement et ces questions sont importantes. A relativiser pourtant parce qu'il y a moins de 100 ans ces forêts n'existaient pas. A la fin du dix-neuvième siècle, début du vingtième, il n'y avait plus un seul cerf dans toute la région Rhône-Alpes. Les animaux ont été réintroduits entre 1958 et 1990 par l'ONCFS à des fins cynégétiques. En ce qui concerne les Voirons, treize cerfs issues des grandes réserves de Chambord et de la Petite Pierre ont été introduits entre 1970 et 1977. Introduction, réintroduction ? Pour qui, pourquoi ? Et voici la sociologie qui s'en mêle...
Quoi qu'il en soit, ils sont là et chacun doit être responsable de son attitude vis à vis des animaux en respectant une déontologie qui ne s'improvise pas. Il est évident que la visite sera réussie si aucun animal ne fuit et seule une grande expérience permet l'approche silencieuse et non perturbante. J'ai eu l'occasion de faire des centaines et des centaines d'heures d'observation depuis plus de vingt ans, jusqu'à me fondre dans la mousse des bois, jusqu'à me faire oublier au point qu'à bon vent, les animaux s'approchent à quelques mètres et continuent leur chemin paisiblement. C'est à ce prix de patience et de discrétion que se méritent les contacts les plus extraordinaires.
Alors c'est vrai, il y a parfois beaucoup de monde dans les Voirons, surtout le dimanche. Ramasseurs de champignons, promeneurs, observateurs, photographes, chasseurs. Mais les animaux ne sont pas idiots et détalent dans les recoins inaccessibles. La pression des chiens de chasse qui pullulent certains jours dans la réserve est un problème bien plus grave. Oserai-je aborder ici l'influence de la chasse ? A vous qui demandez plus de discrétion, à juste titre; avez-vous déjà vu un grand dix cors, la tête ballante sur le hayon d'un 4X4 ?
Faites-vous l'écho de nos valeurs de partage et de respect. Seule compte la pédagogie : rien ne sert de cacher, il faut partager l'émotion, pour avoir envie de mieux connaître et protéger...
Philippe MUNIER, avril 2013
Samedi 15 septembre, il est 6h00, à cette heure ci, la nature s’éveille. Les mésanges sortent de leur sommeil avec de petits cris, nous aussi on se lève…
Le soleil pointe à peine le bout de ses rayons que déjà nous sommes au Monastère des Voirons. A chaque automne, un son étrange monte de la forêt. Un cri, signal du début de l’agitation. Durant plusieurs semaines la forêt calme et silencieuse s’anime et résonne de toute part. Le brame a commencé…
Depuis de nombreuses années, les cerfs élaphes nous donnent rendez vous à la mi-septembre dans cette réserve reculée, perdue sur les hauts de Boëge. Ce matin la lumière est douce, le vent est quasi nul, il y a un petit air frais. Les conditions sont idéales, espérons que le spectacle sera à la hauteur du panorama : les couleurs rosées qui baignent le Mont-Blanc sont sublimes…
7h00, cette fois nous somme parés, quelques habits sombres, une paire de jumelles et nous voilà partis. Quel silence sur le sentier qui mène au sommet, pas le moindre bruit, chacun marche en regardant ses pieds, la tête encore à moitié sur l’oreiller. Pourtant ils sont là, on le sait, mais toujours aucun son…
Nous arrivons sur la crête, de grandes herbes jaunes couvertes de rosée brillent dans les premiers rayons de soleil. Ça et là l’herbe parait couchée, en contrebas, une souille. Pas de doute, des animaux ont passé la nuit ici. Les prairies accueillent des chamois, ceux-ci ont été introduit pour la chasse et se sont habitués à leur milieu, ils sont devenus des chamois forestiers aux couleurs plus sombres que leurs congénères d’altitude.
Émerveillés par les lumières matinales, nous nous asseyons quelques minutes afin de nous imprégner de cette chaleur douillette qui nous fait oublier que la couette est bien loin. Soudain un bruit nous tire de notre torpeur, un mugissement rauque sorti tout droit de la forêt, unique et bref, mais pour nous le message est clair : ils sont là. L’enjeu désormais, réussir à entendre et à observer sans déranger… Un sacré challenge car l’animal est farouche et le faire fuir est un échec. On peut d’ailleurs se demander si un trop grand nombre de dérangements ne risque pas de compromettre la reproduction.
On entame alors la descente, un coup d’œil dans la pente nous fait remarquer un arbre qui s’agite bizarrement… Un pas de plus, un pas de trop, les biches qui mangeaient tranquillement nous ont vus, elles disparaissent à la lisière en un éclair. Il va falloir être plus discret…
Nous continuons la descente en traversant la prairie en direction d'une combe, petit à petit la forêt est envahie par les cris des mâles en rut. Chaque automne, à la saison des amours, les cerfs se regroupent sur des places de brame, des parcelles de forêt généralement isolées où se rejoignent les animaux des régions alentours. Les mâles se jaugent alors, chacun essayant de défendre son territoire contre ses rivaux. Pour les êtres humains que nous sommes, les limites de ces territoires paraissent mal définies. En réalité tout est question d’olfaction, chaque mâle marque sont territoire de son odeur en se frottant contre les arbres ou en urinant. Les femelles ne sont pas réellement concernées par ces querelles, elles rejoignent simplement le mâle qui leur convient, choisissant généralement celui qui a le plus d’influence sur ses congénères.
C’est en bramant et en multipliant les démonstrations de forces que les cerfs tentent de rassembler des biches autour d’eux pour former leur harem. Le plus souvent les mâles les plus forts éloignent leurs rivaux d’un simple cri mais lorsque les deux mâles sont de force égale, cela tourne au combat. Ils sont assez rares mais très violents, un mâle peut atteindre 200 kilos, 200 kilos de muscles dopés à la testostérone qui foncent sur son rival ! Ces joutes s’entendent très loin à travers la forêt, le son des bois qui s’entrechoquent fait trembler la terre, certains individus payent de leur vie ces luttes pour la reproduction, j’ai eu la chance d’assister un jour à un de ces combats et j’en garde un souvenir qui me donne la chair de poule tant l’intensité de la vie sauvage se révèle dans cet affrontement.
Nous progressons discrètement sous le couvert des arbres, un mâle brame à 500m devant… Il est loin, on force un peu l’allure, soudain sorti de nulle part, un autre mâle surgit juste au dessus de nous, durant quelques secondes il nous toise et cherche à savoir ce que nous sommes. C’est un magnifique 16 cors, chez les cerfs on classe les mâles par catégories de « cors ». La méthode est simple, on désigne par « cors » les différentes pointes portées sur un bois, toutes portent un nom. A partir de la base, la meule, on distingue l’andouiller de massacre, le surandouiller, la chevillure, l’enfourchure ou l’empaumure…On multiplie par deux ce nombre de pointes et on a la taille de la ramure du cerf *, ainsi un 16 cors aura 8 pointes sur chaque bois. Toutefois il n’y a pas de réelle correspondance entre le nombre de cors et l’âge de l’animal (la seule façon de connaître l’âge exact d’un cerf, qui peut vivre quinze ans, c’est l’état de sa denture), cela reflète plutôt son état de santé, lui-même directement en relation avec le milieu.
* Une ramure qu'il perdra en mars et qui repoussera en velours au cours des cinq mois suivant.
Son verdict est sans appel : « humains », il disparaît en contrebas entraînant avec lui sa harde de biche… La chance est avec nous mais nous allons devoir être plus attentifs d’autant que les hardes sont déjà bien formées et les bréhaignes, les vieilles femelles expérimentées, ne manqueront pas de donner l’alerte !
Petit à petit nous avançons dans la forêt qui retrouve son calme, comme par enchantement les animaux se sont tus, l’effervescence fait place à la sérénité. D'un repli de terrain montent les rots d’un mâle soucieux de conserver ses femelles, nous décidons d'aller à sa rencontre… Le soleil commence à percer entre les arbres, la pelouse forestière sous les grands épicéas est inondée de lumière. Malgré notre approche discrète le mâle ne se montrera pas, il remonte la pente et disparaît sur l’autre versant. Encore raté… Nous entamons nous aussi la remontée, ce coin de la combe est superbe, une clairière dégagée offre l’endroit idéal pour un affût, perdu dans mes pensées je suis soudain surpris par un vacarme venant du dessus. Une troupe de sangliers débarque dans la clairière à une quinzaine de mètres de nous, quatre laies et douze bêtes rousses (des jeunes de l’année). Ils sont guidés par une laie âgée qui les conduit droit sur nous… Le cœur s’accélère, où vont-ils s’arrêter ?! Un brusque virage détourne la petite troupe de notre axe, une laie s’arrête quelques secondes, nous observe puis repart, les « cochons » remontent dans la pente et disparaissent dans les épicéas. Nous reprenons la montée avec le sourire, ce n’est pas tous les jours que les animaux viennent nous voir et pas l’inverse !
L’émotion passée, nous reprenons notre ascension. Arrivés sur un petit sommet, plus un bruit, à nouveau la forêt s’est tue…Nous choisissons tout de même de descendre un peu en direction de Boëge, il y a en pleine forêt les ruines d'une ferme, vestige d’une époque pas si lointaine au cours de laquelle cette forêt n’existait pas. Des champs, des prés et des alpages à perte de vue. On retrouve un peu partout dans cette zone de vieilles ruines, témoignages de ce passé agricole aujourd’hui disparu, remplacé par nos vastes forêts. Le massif des Voirons bénéficie maintenant de l’arrêté préfectoral de biotope APPB017 Massif des Voirons en date du 12-01-1987 d’une superficie de 975 ha. Cette réserve avait été créée en vue de protéger l’habitat du Grand Tétras aujourd’hui malheureusement disparu. Le site est également classé Natura 2000 en raison de la présence du lynx.
Nous suivons maintenant une courbe de niveau afin de nous éviter une remontée trop pénible. Un mâle se met à bramer à une centaine de mètres au dessus, il regroupe ses femelles. Le terrain peu couvert ne nous permet pas de nous approcher à moins de 80 mètres, on se cale contre un arbre et on attend…la visibilité et réduite mais une chose est sûre, ça bouge là-haut ! Une femelle apparaît entre deux arbres, elle nous fixe pendant plusieurs secondes, si elle ne peut nous entendre chuchoter, elle nous distingue parfaitement. On pense souvent à tort que nombre d’animaux ne distinguent pas les couleurs, il n’en est rien ! Les cervidés distinguent les couleurs, certes avec moins de nuances que nous mais ils compensent cela avec une rétine très riche en bâtonnets sensibles à la lumière qui renforcent la détection des mouvements. Il est donc primordial de ne pas bouger, et si possible de s’habiller avec des vêtements sombres, sans oublier de progresser contre le vent pour, rappelons le encore une fois, ne pas déranger. Trois cerfs occupent les abords d’une clairière, l’un d’entre eux garde à grands cris treize biches suitées de bichettes et de hères, un autre n’a que quatre biches plus âgées. Un daguet (un jeune mâle de un ou deux ans) imite comiquement ses aînées en quelques tentatives de chevrotements. Dans environ 230 jours, les biches qui auront été couvertes mettront bas un faon (rarement deux) dans le secret de ces forêts, tandis que les mâles, venus souvent de très loin, resteront seuls ou en petits groupes jusqu’à l’automne prochain. Un signal invisible, hormonal, tellurique, magnétique, les poussera alors à rejoindre les places de brame, comme ils font depuis toujours, au point de marquer les esprits des premiers hommes et d’imprimer définitivement aux tréfonds de nos gènes la marque indélébile de leur présence de seigneur.
Cette année, papa, qui a passé plus de quarante heures auprès des cerfs estime qu’une douzaine de mâles fréquentaient les Voirons. Une proximité qui lui a permis de cerner les territoires et même de reconnaître certains individus à leur « voix ». Combien à Sixt à Entremont ou à Seytroux, autres places de brame. J’espère que nous aurons l’occasion d’entendre le raire encore longtemps !
Photo Philippe
Rémi Munier, octobre 2011
Suite à l'article le 5 novembre 2012.
Un visiteur du site nous a fait remarquer, suite à la lecture de cet article, qu'il était imprudent de nommer les lieux de brame avec précision. La remarque ne manque pas de pertinence même si le ton du message était plutôt violent. Aussi, volontairement, nous avons modifié le texte pour rester dans le vague sur les sites de brame. Ceci dit, toute personne qui souhaite entendre le brame a le droit de se rendre à proximité des Voirons pour profiter de ce moment rare. Y-a-t-il trop de monde dans les Voirons au moment du brame ? Une trop grande pression humaine peut-elle influencer profondément et durablement le comportement des animaux ?
Probablement et ces questions sont importantes. A relativiser pourtant parce qu'il y a moins de 100 ans ces forêts n'existaient pas. A la fin du dix-neuvième siècle, début du vingtième, il n'y avait plus un seul cerf dans toute la région Rhône-Alpes. Les animaux ont été réintroduits entre 1958 et 1990 par l'ONCFS à des fins cynégétiques. En ce qui concerne les Voirons, treize cerfs issues des grandes réserves de Chambord et de la Petite Pierre ont été introduits entre 1970 et 1977. Introduction, réintroduction ? Pour qui, pourquoi ? Et voici la sociologie qui s'en mêle...
Quoi qu'il en soit, ils sont là et chacun doit être responsable de son attitude vis à vis des animaux en respectant une déontologie qui ne s'improvise pas. Il est évident que la visite sera réussie si aucun animal ne fuit et seule une grande expérience permet l'approche silencieuse et non perturbante. J'ai eu l'occasion de faire des centaines et des centaines d'heures d'observation depuis plus de vingt ans, jusqu'à me fondre dans la mousse des bois, jusqu'à me faire oublier au point qu'à bon vent, les animaux s'approchent à quelques mètres et continuent leur chemin paisiblement. C'est à ce prix de patience et de discrétion que se méritent les contacts les plus extraordinaires.
Alors c'est vrai, il y a parfois beaucoup de monde dans les Voirons, surtout le dimanche. Ramasseurs de champignons, promeneurs, observateurs, photographes, chasseurs. Mais les animaux ne sont pas idiots et détalent dans les recoins inaccessibles. La pression des chiens de chasse qui pullulent certains jours dans la réserve est un problème bien plus grave. Oserai-je aborder ici l'influence de la chasse ? A vous qui demandez plus de discrétion, à juste titre; avez-vous déjà vu un grand dix cors, la tête ballante sur le hayon d'un 4X4 ?
Faites-vous l'écho de nos valeurs de partage et de respect. Seule compte la pédagogie : rien ne sert de cacher, il faut partager l'émotion, pour avoir envie de mieux connaître et protéger...
Philippe MUNIER, avril 2013
Trop belles ! Les orchidées ...
Nous étions partis au lever du soleil un matin de juin, ʺChoucaʺ, Martine et moi, pour rejoindre en Haute-Marne le garde forestier de Doulaincourt avec qui nous avions rendez-vous. Au café du village où il nous attendait, nous étions comme des enfants une veille de Noël ; tout à la fois impatients, curieux et anxieux…Et le garde qui en rajoutait, mine de rien, à parler de la pluie et du beau temps, à blaguer avec la grosse dame gentille qui nous servait un petit déjeuner comme on en voit plus que dans quelques bistrots de campagne ; énormes bols de café odorant, pain, beurre, confiture maison…
Enfin nous sommes sortis. Comme dans un rêve, le soleil creusait des sillons de lumière dans la brume qui s’échappait en volutes lâches de la forêt encore assoupie. Après quelques centaines de mètres sur un chemin d’exploitation, le garde nous a simplement dit : « Voilà, c’est ici ! ».
Ce jour là je suis tombé amoureux. Ma première rencontre avec les Sabots de Vénus a marqué le début d’une passion sans limite pour les orchidées, et bien au-delà, pour tous les milieux naturels, de la plus humble des abeilles aux plus grands prédateurs…De l’ortie aux martagons…
Un peu pour leur rendre hommage, beaucoup pour vous sensibiliser, laissez-moi-vous parler des orchidées…
Une histoire d’amour
En 1988, dans son livre "Les orchidées, démons et merveilles", Takashi Kijama écrivait « Ces fleurs enchanteresses ont tout pour vous séduire, nous dévoilant leurs charmes impudiques et troublants ».
L’orchidée cumule la symbolique sexuelle et érotique. Son nom (en grec, orchis signifie testicule) vient de la forme suggestive de ses tubercules. Pour les anciens, l’apparence des plantes signaient leurs propriétés thérapeutiques. C’est ainsi que les bulbes d’orchidées furent longtemps considérées comme de puissants aphrodisiaques. Des propriétés fictives mais qui perdurent en Turquie par exemple où les racines d’orchidées sauvages, réduites en poudre, servent à produire le salep avec lequel on parfume les desserts.
Par contre, il existe de nombreuses utilisations culinaires ou médicinales avérées de par le monde : la vanille sous les tropiques, la nigritelle chez nous (j’ai connu une vieille dame qui s’en servait encore pour donner un goût de chocolat à son café).
Ses formes, ses couleurs et ses senteurs ont fait de l’orchidée un symbole de richesse et de séduction qui lui ont attribué l’image d’une femme fatale dans l’imaginaire collectif ; image renforcée par la mode et la démocratisation des orchidées exotiques ou par son utilisation dans le domaine de l’art et de la communication ( "La chair de l’orchidée" de Patrice Chéreau ou "L’orchidée sauvage" de Zalman King ) sans parler des noms de parfums. Quand à son exploitation littéraire, elle est si vaste qu’une thèse à ce sujet n’y suffirait pas tant est important le nombre d’auteurs à s’en être inspiré. Comme un clin d’œil à un grand Monsieur, je citerai simplement le titre du dernier ouvrage de Jacques-Yves Cousteau, "L’homme, la pieuvre et l’orchidée…
Mais bien avant d’être ʺ récupérée par l’homme, « Les orchidées savaient déjà combien grand est le rôle du maquillage et du vêtement dans les stratégies de la séduction… » Jean Marie Pelt, Amours et civilisations végétales, page 328.
Une fleur est avant tout le support des organes reproducteurs d’une plante avec les étamines qui supportent le pollen et le pistil sous lequel prend place l’ovaire. A ce titre, la fleur d’orchidée a développé de remarquables adaptations pour assurer sa reproduction. Ses principaux alliés dans cette fonction sont les insectes. C’est à leur intention qu’elles se sont diversifiées et spécialisées.
Comme chez la plupart des monocotylédones, les orchidées ont une organisation trimère (trois étamines, trois carpelles, trois pétales et trois sépales). Le pétale inférieur (en réalité, il s’agit anatomiquement du pétale supérieur qui se retrouve en position inférieure à la suite de la torsion des organes situés sous la fleur), élargi en labelle, a évolué en piste d’atterrissage pour insectes, allant souvent jusqu’à imiter les couleurs, l’aspect, voire l’odeur de la femelle séductrice.
Attirés de façon très sélective par telle ou telle espèce, mâles de mouches, guêpes ou autres papillons vont ainsi de fleurs en fleurs transporter à leur insu le pollen et assurer la reproduction au cours de leurs tentatives de copulations déçues. Ce pollen est regroupé chez la plupart de nos orchidées en deux pollinies qui se collent sur la tête ou la trompe des visiteurs ailés. Un système très perfectionné puisque la floraison des orchidées correspond à l’éclosion des mâles pollinisateurs, souvent matures avant les femelles…
Comme n’importe quelle fleur, l’orchidée attire aussi simplement par sa couleur, il lui arrive aussi de proposer à la gourmandise des insectes des réserves de nectar ou des leurres d’éperons vides (orchis brulé et céphalantère rouge). Enfin, certaines espèces peuvent s’auto polliniser, se reproduire par multiplication végétative ou piéger un insecte (sabot de vénus).
Une amitié partagée
Toutes nos orchidées européennes poussent dans le sol et ont un tubercule ou des racines et la plupart ne peuvent se développer qu’en présence d’un champignon très spécifique. Ce qui n’est pas le cas des orchidées tropicales, qui sont toutes épiphytes, elles ont des racines aériennes et s’accrochent aux autres végétaux.
Les orchidées produisent chacune des centaines de milliers de graines minuscules peu protégées qui sont disséminées par le vent. Par cette profusion, la plante compense les difficultés de germination. En effet, la graine d’orchidée ne peut germer qu’en présence de plusieurs oligo éléments spécifiques et à condition d’être infectée par les filaments d’un champignon du genre rhizoctonia. Cette mycorhize n’a été étudiée que depuis le XXème siècle, elle continue de susciter des interrogations, en particulier sur ce que reçoit le champignon au cours de sa relation avec l’embryon et plus tard sur la relation entre l’orchidée, le champignon et la végétation associée environnante. D’abord parasite du champignon, la plante devient partenaire et la relation évolue vers une symbiose. Étant dépourvue de poils absorbants au niveau de son système sous terrain, l’alimentation hydrominérale de la plante est assurée par les fins réseaux mycéliens des champignons microscopiques qui pénètrent les racines.
Une grande famille
On a coutume de dire que les orchidées sont aux végétaux ce que l’homme est aux animaux !
Elles sont en effet très récentes dans l’histoire de l’évolution et leurs capacités d’adaptation leur ont permis de coloniser tous les milieux à l’exception des déserts.
Il en existerait 25 à 30 000 espèces encore en évolution dans le monde, aux formes et aux couleurs les plus extraordinaires. Mais la destruction massive de leurs milieux risque de faire disparaître un grand nombre d’entres elles, dont certaines encore inconnues…
En France, il y aurait 120 à 130 espèces, 69 en Haute Savoie. Elles sont souvent inféodées à des milieux très spécifiques: pelouses sèches, sous bois, pré bois, marais. Leur floraison commence très tôt au printemps avec les orchis mâles et se termine loin en automne avec les spiranthes.
Aller à leur rencontre, c’est avant tout aller à la rencontre d’un écosystème. Apprendre à déchiffrer un milieu avec ses contraintes, son orientation, son substrat, ses associations végétales, son histoire, sa faune associée, loupe en main, bouquin de détermination dans le sac…J’en veux parfois aux "orchidophiles" prêts à saccager dix mètres carrés de pelouse pour faire une photo. Parfois aussi la gestion de certains espaces qui se ferment laisse perplexe, la nature ne s’est-elle pas bien débrouillée sans notre intervention pendant quelques dizaines de millions d’années ? Bon d’accord, l’ouverture de pelouses permet de laisser fleurir les espèces de lumière…Le débat est ouvert.
Où les voir, simplement par chez nous ? Quelques pistes…
Sur les talus dés mars, l’orchis mâle, plus tard sur Plaines Joux, l’orchis sureau, les orchis tachetés et de Fuchs, l’orchis à larges feuilles à partir de juin partout où c’est humide, l’orchis moustique dans les endroits plus secs, le listère à feuilles ovales, tout vert, partout, tout comme la néottie où les céphalanthères blancs. La magnifique hélléborine en été, l’orchis des marais… En montagne, la nigritelle, l’orchis globuleux…
Bref, les orchidées sont partout, à vous de les chercher et d’apprendre à les comprendre.
Philippe
Supplément 2016
2015 avait déjà été faste avec la listère en cœur et le liparis : mais 2016, quelle année fantastique !
Dans le courant de cette seule année, j'ai découvert : l'herminium monorchis, l'ophrys anaréola, l'orchis palustris, l'orchis coriophora, l'ophrys eliator, deux nouvelles stations de liparis, la spiranthe d'automne, au moins trois nouvelles pelouses ou marais où j'ai rencontré le glaïeul des marais, l'ophioglosse langue de serpent, de belle stations de plaine d'orchis odorant...Et surtout, grâce à la perspicacité, à l'abnégation et aux compétences de mon ami orchidophile Guillaume Guibentif, j'ai enfin rencontré l'épipogon sans feuille, mon Graal à moi...
Je vous signale encore l'outil devenu indispensable pour apprendre et communiquer, le site participatif d'orchisauvage (www.orchisauvage.fr) grâce auquel nous sommes nombreux à échanger nos données.
Mes objectifs pour 2017, l'orchis pâle et le chamorchis alpina (l'orchis nain des Alpes), que je sais où chercher au mois d'août prochain. Et puis, qui sait, serapia et diverses ophrys méditéranéens si mes pas me guident vers le sud où, l'an passé, j'ai rencontré l'ophys lutea et l'orchis robertiana à Montpellier au mois d'avril.
Joyeuses découvertes, Philippe, novembre 2016
Pour vous faire patienter, voici une sélection de quelques princesses.
Saison 2017 : RE-découverte de l'incroyable station à sabots du col de Plan Bois (des centaines de pieds !). Découverte de l'orchis pâle. Du spiranthe d'étè en Pays de Gavot (merci Mr Baraquin). Plein de spiranthes d'automne cette année et belles découvertes d'importantes stations de listères cordées et de racines de corail...Objectif 2018, mi août, le chamorchis des alpes !
2020 : chamorchis trouvés au Roc d'Enfer et découverte des listères d'Hirmentaz
Rêves de blaireaux ...
A chaque printemps, entre la mi mars et la mi avril, nous avons pris l’habitude d’aller observer nos amis les blaireaux au grand terrier du Vernay.
Ce rendez-vous annuel avec les " petits ours " noir et blanc est devenu un rituel auquel nous sacrifions quelques soirées avant l’apparition des feuilles qui limitent considérablement la visibilité.
Rencontrer ces animaux, c’est aussi s’immerger dans l’ambiance particulière de la forêt qui passe doucement du crépuscule à la nuit. A ce moment où le soleil bascule derrière la crête, où la lumière dorée du lac s’estompe doucement en découpant les cimes d'épicéas, chassée par l’ombre de la nuit. Les oiseaux se taisent, la chouette se réveille, un chevreuil s’aventure dans la prairie encore illuminée de miel. Il y a les petits cris d’une souris, le raffut d’un hérisson…L’oreille s’aiguise, les yeux scrutent l’entrée des terriers.
Quand soudain un blaireau pointe un museau circonspect ; sort, s’ébroue, suivi d’un deuxième, d’un troisième et que tout ce beau monde s’épouille, chahute, gratte le sol, sort la litière humide, rentre le foin sec… Plus rien n’a d’importance que ce spectacle de la nature qui anime la forêt.
On est là, immobiles, cachés sous le vent, spectateurs éblouis, tous les sens en éveil. Tachant de reconnaître tel ou tel individu.
La patience et le hasard nous apportent parfois le bonheur de voir les premières sorties des petits de l’année ou les ébats insouciants des renardeaux (une renarde cohabite avec les blaireaux).
Mais parlons un peu de ces plantigrades attachants et casaniers. Discrets animaux nocturnes que vous connaissez peut-être seulement sous forme de cadavre au bord d’une route, car ils sont souvent victimes de la bêtise humaine et des voitures folles.
Animal social, le blaireau vit généralement en famille dans un réseau de terriers parfois immense ; celui du Vernay compte trente trois trous, tous ne sont pas utilisés et il est impossible de savoir ce qu’il y a dessous. Hainard raconte qu’il a connu des terriers s’ouvrant dans des grottes ! Ce qui est certain, c’est qu’ils sont compliqués. La citée est constituée d’une multitude de galeries souterraines que seul l’architecte connaît véritablement ! Il n’est pas rare d’entendre des récits de chasseurs dont les chiens ont été emmurés vivant en essayant de suivre le blaireau dans son palace de terre. Le terrier est creusé le plus souvent dans une colline de tuf ou de molasse à proximité d’un point d’eau (c’est le cas au Vernay), ces immenses réseaux souterrains peuvent abriter jusqu’à quinze individus. Ils sont entretenus et agrandis par plusieurs générations de bagnards assidus ! Souvent il arrive qu’une famille de renards ou de mulots cohabite, ce genre de voisinage ne semble pas déranger le blaireau car les horaires de sortie de ces animaux ne sont pas les mêmes, ainsi ils ne se croisent pratiquement jamais et de toute façon préfèrent s’éviter.
Animal social et sociable, le blaireau passe beaucoup de temps dans les échanges, en particulier au moment de la sortie du terrier, à la tombée de la nuit. Les animaux s'épouillent, chahutent, se poursuivent et se livrent parfois à un rituel qui ressemble à l'accouplement mais qui consiste en fait en un marquage social, les animaux se frottant l'un contre l'autre pour se "marquer".
Mal vu des éleveurs de poules qui l’accusent de piller les nids, le blaireau se nourrit principalement de vers blancs, de vers de terre, de racines, de fruits, d’escargots, de petits mammifères et autres invertébrés qu’il déniche grâce à son arme secrète : son nez. Il possède en effet un odorat bien plus développé que le nôtre pour trouver sa pitance, ce qui compense sa vue médiocre.
Après le rituel d’épouillages et de chahuts qui le caractérise, le blaireau s’en va en suivant des pistes bien marquées pour ne rentrer souvent qu’au petit jour.
Le mâle atteint sa maturité sexuelle vers deux ans, la femelle dès un an.
Chez les blaireaux l’accouplement a lieu généralement en janvier février (des observations le situe un peu n’importe quand dans l’année), le plus souvent au sein du terrier, à l’abri des regards indiscrets. La gestation différée de dix mois dure deux mois puis la mère donne naissance de un à cinq petits blaireautins dans une niche spéciale appelée « crèche » à l’intérieure de laquelle ils resteront huit semaines. L’allaitement dure environ trois mois. Les jeunes sont vulnérables durant cette période, un quart d’entre eux meurent avant de sortir du terrier et seul un tiers de la portée atteint trois ans.
A quatre mois ils sont complètement sevrés et vaquent à leurs occupations autour du terrier.
Plus tard, ils devront à leur tour partir à la conquête de la forêt pour fonder une nouvelle famille.
Alors que le renard fait rarement de vieux os, le blaireau peut vivre en moyenne une quinzaine d’années (peut-être est ce dû à son rythme de vie beaucoup moins trépidant que celui de son voisin ?) …A condition de ne pas se faire tuer par les chasseurs ou par les voitures.
Car s’il a échappé au classement sur la liste des nuisibles, il est chassable en France. Des périodes supplémentaires peuvent même être accordées par les préfectures : mesures sensées lutter contre les dégâts présumés de l’espèce dont les impacts sont souvent exagérés.
C’est ainsi que le déterrage, appelé aussi vénerie sous terre donne lieu à des concours et même à un championnat de France, chasse loisir honteuse qui fait fi de toute valeur au cours desquelles les blaireautières sont éventrées, les animaux tirés, gazés, piégés…
Notons que nos voisins belges, suisses, anglais, hollandais protègent le blaireau…
Il existe dans le monde six espèces de blaireaux, celui que nous connaissons vit partout en Europe, sauf en Scandinavie et sur les îles Atlantiques ou la Corse. Il a également colonisé une grande partie de l’Asie.
Philippe et Rémi (photos de Rémi).
Sources documentaires : La Hulotte numéro 26 Salamandre numéro 167 Hainard "Mammifères sauvages d'Europe"
Photo de Rémi
Père castor raconte nous une histoire !
C’était un jour de mai.
Georges nous avait donné rendez-vous chez lui à Scionzier à 20h00. Nous discutions de quelque sujet naturaliste autour d’un cidre maison quand tout à coup il se leva et nous dit " Il faut y aller pour être en place avant 20h30 ".
Georges nous conduisit à son "affût ", en réalité une petite cabane ouverte sur la rivière, une dérivation de l’Arve qui prend ici la forme d’un cour d’eau paisible à faible courant.
Il nous demanda de rester immobile un moment, le temps, nous dit-il « de nous présenter à ses copains ».
Partagés entre suspicion et curiosité, nous observions la rivière depuis une dizaine de minutes lorsqu’il apparut ; notre "premier" castor !
« Salut Pirate », dit Georges « je te présente Philippe et sa famille, ce sont des amis des castors ».
Pirate, bientôt suivi par trois autres de ses congénères prit ses aises devant la cabane, dévorant pommes et pain sec apportés par Georges. Une "familiarité" proche de l’empreinte acquise à force de patience au bord de la rivière. Georges nous assura que sa présence est indispensable pour que les castors se montrent… Quoi qu’il en soit, se fut un moment unique, magique. La rencontre inoubliable de "l’homme qui murmure à l’oreille des castors" et de ses compagnons.
Tout avait commencé à l’automne précédent, quand, avec les élèves de la classe de quatrième, nous avions entrepris de réaliser des fiches sur les mœurs des castors de la région.
Les noms de Georges Lacroix et de Philippe Mulatier revenaient souvent dans notre recherche de personnes ressources. Aussi, c’est naturellement vers eux que nous sommes allés pour épauler nos recherches et l’aventure des castors commença.
Une aventure qui devait nous mener à l’obtention du premier prix du JUNIOR WATER PRIZE pour la réalisation d’un document pédagogique illustré ci-dessous par ces textes.
Depuis, je revois régulièrement Georges, pour parler du lynx, du loup, des aigles ou du gypaète. Je regarde différemment la rivière parce que je sais où sont les castors et j’aime retrouver leurs traces dans le limon.
Georges est décédé le 4 août 2010 , il a été un guide et un ami irremplaçable.
LE BIOTOPE DU CASTOR
Comme en témoigne le grand nombre de " Brevon " dans notre région, le castor était autrefois présent un peu partout en Haute-Savoie.
S’il n’affectionne pas particulièrement les cours d’eau trop rapides des torrents, il peut, à l’occasion de ses pérégrinations, monter assez haut dans les vallées où il trouve sur des plateaux (Boëge) ou des étangs (La Gouille au Mort, dans le Vouan) des sites qui conviennent à son installation.
Toutefois, chez nous, c’est plutôt en plaine, le long des ruisseaux du Bas Chablais et au bord des grandes rivières qu’il prolifère en utilisant les berges, les lônes (bras morts) et autres étangs.
Le castor a besoin d’eau, de calme, de nourriture en abondance (saules en particulier).
Toutes conditions qui se retrouvent dans les forêts ripisylves du Giffre ou de l’Arve et de quantités d’autres rivières (à Chens sur Léman par exemple). La qualité de l’eau n’a pas beaucoup d’importance. Il est par exemple installé à Genève.
L’extraction des graviers, l’endiguement et les aménagements urbains ou touristiques contribuent à accélérer la vitesse du courant, à abaisser le niveau de la nappe aquifère et à faire disparaître le biotope du castor. Heureusement les actions menées pour maintenir la divagation des rivières encouragent le maintien de quelques zones humides indispensables à la vie de notre ami (anciennes gravières de l’Arve).
Tout un cortège floristique et animal accompagne le castor, qui, en aménageant le milieu à ses besoins permet une biodiversité extraordinaire. Par exemple, gravelot, chevalier guignette, cincle plongeur, bergeronnette des ruisseaux, phragmites, locustelles sont des oiseaux qui partagent couramment le même biotope.
" Brevon" vient de " bièvre ", le castor en vieux français.
LA MAISON DU CASTOR
Nous avons tous en mémoire l’image du castor dans son énorme hutte de branchages !
En réalité, dans notre région, les castors recherchent une berge meuble dans laquelle ils creusent un terrier. Mais à partir de ce départ de construction, le plus souvent sous les racines d’un arbre, tous les types d’ouvrages peuvent se rencontrer : terrier, terrier-hutte, hutte (quand la berge est rocheuse).
L’entrée du terrier doit être sous l’eau, c’est une des raisons d’être des barrages. Elle débouche dans une " chambre" au sec dans laquelle le castor, seul ou en groupe familial, passe une bonne partie de la journée.
Les animaux fabriquent une litière de bois en rongeant sur place des morceaux de saule qu’ils débitent en fines lanières.
Véritable construction bioclimatique la "maison" des castors, équipée d’une aération, protège les animaux du froid et de l’excès de chaleur. Continuellement colmatée, réparée, aménagée, elle peut parfois atteindre 2 mètres de hauteur !
La construction de la hutte est souvent une "extension" de la berge accueillant le terrier ou les travaux nécessaires pour protéger un terrier effondré. Au premier coup d’œil, elle paraît être un tas de bois accumulé par la crue. En réalité sa construction relève d’un savoir-faire réel et méthodique. Les longerons ne sont pas disposés au hasard, il semble qu’il y ait une véritable intelligence architecturale qui ne repose pas que sur l’instinct !
Une même famille de castors ou même un castor isolé possède souvent plusieurs terriers adaptés aux conditions environnementales et en particulier à la hauteur d’eau.
L’ALIMENTATION DU CASTOR
Le castor est exclusivement végétarien, n’en déplaise aux ennemis de ce gros rongeur, persuadés qu’il mange du poisson.
En parcourant le territoire des castors, il est facile de deviner que les arbres et les arbustes constituent l’essentiel des ressources alimentaires. Mais dans notre région, on peut distinguer deux types de comportements. Pendant la saison froide, le castor s’attaque à de gros arbres, peut -être pour éviter de trop longs déplacements car un gros arbre offre une quantité non négligeable de nourriture. Il fait également des réserves de branches qu’il stocke sous l’eau à proximité du terrier. Quand revient le printemps, le castor élargit l’éventail de ses menus et surtout, il coupe de préférence des branches de petite section dont il consomme tout : bourgeons, feuilles et écorce.
Les souches de saule et d’aulne fabriquent de nombreux rejets. Il y a aussi le frêne, le noisetier, le cornouiller mais également des rhizomes de massette et de phragmite. Le castor a un faible pour les fruits : pommes, poires et pour les herbes aquatiques… La plupart du temps, il mange dans son réfectoire, un endroit dans l’eau proche de la berge d’où il peut rapidement plonger pour fuir en cas de dérangement.
Le castor, comme le lapin, est caecotrophile. Il digère la cellulose en deux temps. Digérée par des bactéries spécialisées dans la cæcum, l’écorce est d’abord transformée en boulettes protéinées (les caecotrophes). A leur sortie du cloaque, ces boulettes luisantes sont récupérées par le castor qui les ingère et les digère. La crotte définitive n’est constituée que de sciure…et il est difficile d’en trouver car elles se diluent dans l’eau !
UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
Quand le castor a-t-il disparu de notre région ?
Probablement au début ou au cours du dix-neuvième siècle, victime de la chasse et de la destruction de son habitat.
Le castor était très recherché pour sa fourrure, pour sa chair, et pour son castoréum, utilisé en parfumerie et en pharmacopée. Il était aussi chassé pour lutter contre ses travaux d’abattage. L’endiguement des grands cours d’eau, l’industrialisation, l’assèchement des marais et des bras morts a précipité le déclin de l’espèce dont il ne restait plus en France qu’une population relictuelle dans les années 1930 au bord du Rhône.
Justifiée par la répartition ancienne de l’espèce (en témoignent les nombreux bièvre, brevon, breuvon ("castor" en vieux français) , une campagne de réintroduction est lancée dès 1950 à Genève, puis vers 1970 en Haute- Savoie.
Il a fallu convaincre riverains et utilisateurs des rivières de l’intérêt de cette réintroduction, du caractère inoffensif du castor et de son impact positif sur la biodiversité.
Jusqu’à aujourd’hui il arrive que des barrages trop envahissants soient détruits parce qu’ils provoquent des inondations et certains pêcheurs confondent encore loutre et castor, ce dernier ne mangeant évidemment pas de poisson.
Mais une fois installé il passe plus ou moins inaperçu, nocturne et tranquille : il prospère désormais chez nous. Environ 1000 individus en Haute-Savoie (dont 300 sur l’Arve).données de 2007
DES PARTICULARITÉS ANATOMIQUES ÉTONNANTES
« La nature fait bien les choses ! » Voilà une expression populaire qui s’applique particulièrement bien au castor : toutes ses adaptations physiologiques et anatomiques sont remarquables. Mangeur d’écorces et de végétaux, le castor a un système digestif qui lui permet de subvenir à partir de la consommation… de bois ! Sa mâchoire est équipée de ciseaux à bois (4 incisives de 17 cm de long *) qui s’affûtent en se frottant les unes aux autres. Entre les redoutables incisives et les 16 molaires, un espace sans dent, le diastème, permet à l’animal de transporter divers matériaux.
Le système digestif original permet une digestion en deux temps. La caecotrophie, sorte de rumination où le bol alimentaire, au lieu de remonter de la panse à la bouche, ferait deux fois le circuit complet du tube digestif. Le castor ne se nourrit vraiment qu’au deuxième passage, profitant du travail des bactéries, en consommant ces "fausses crottes" appelées caecotrophes.
A l’issue de ces deux cycles, la crotte est une boule de sciure.
Le castor creuse et nage. Son corps pataud sur le sol (c'est juste une impression parce qu'en cas de danger il est très rapide) est incroyablement hydrodynamique sous l’eau …deux pattes postérieures qui sont très palmées, une queue qui sert de gouvernail, des orifices qui se ferment et une paupière spécifique qui protège l’œil au cours des apnées ( 15 min de capacité en immersion !). Pour creuser, il utilise ses petites pattes antérieures munies de griffes très résistantes. Debout sur ses pattes arrière, il peut transporter divers matériaux (ou ses petits). Il ressemble alors à un petit humain !
Sa queue sert de régulateur thermique, d’outil d’alarme acoustique, de réserve de graisse et de traîneau pour ses petits. Elle est recouverte d’un cuir dessiné de losanges qui font penser à des écailles **.
Le pelage est très épais, c’est ce qui lui a valu sa perte, en Europe d’abord, puis partout dans le nouveau monde ! Il est constitué de jarres qui couvrent un doux duvet. En plongée, les jarres se plaquent sur le corps et isolent de l’air dans le duvet. C’et pourquoi il se "nettoie" après chaque "bain" pour redonner du gonflant à son pelage.
Ses moustaches sont de fins capteurs qui le renseignent sur les vibrations de l’eau et les obstacles dans l’eau sale. Il peut ainsi reconnaître si un barrage à été abîmé à la vitesse du courant. Une particularité anatomique tient à la forme d’un ongle de ses pattes postérieures. Il a une forme de peigne qui lui sert à lisser ses poils, garantie d’une étanchéité vitale.
* Il, semblerait que les hommes préhistoriques aient utilisé les incisives des castors pour fabriquer des outils tranchants !
** C’est la raison pour laquelle les chrétiens le consommaient au carême, classant le castor parmi les poissons…
LA REPRODUCTION ET L’ÉDUCATION DES PETITS
Les castors atteignent la maturité sexuelle vers trois ans. Chassés du terrier familial, ils doivent chercher un nouveau territoire et fonder une colonie.
La recherche de leur nouveau territoire par ces animaux erratiques les oblige à traverser ceux de congénères sur lequel ils peuvent être tolérés.
Mais durant la période de reproduction, de décembre à avril, les comportements territoriaux et le dépôt de castoréum annoncent clairement que le temps des amours prend le pas sur la tolérance. L’accouplement se fait dans l’eau, ventre contre ventre, le mâle s’accrochant sous la femelle, légèrement sur le côté. Il n’y a pas de pénétration. Les castors ont la particularité de posséder un organe sexuel commun au mâle et à la femelle : le cloaque (un peu comme les oiseaux). Le mâle possède un "os pénien " minuscule : le baculum, invisible de l’extérieur.
La gestation dure de 98 à 128 jours, les naissances ont lieux entre le 15 mai et le 15 juin. La portée est de 2 à 4 biévraux. Les petits naissent sans poil et leur peau est rose. Très dépendants de leur mère, ils tètent un lait (Georges Lacroix l’a goûté !) très riche en protéines. L’allaitement dure jusqu’à six semaines mais les petits qui prennent très vite l’apparence d’un mini-castor" commencent à ronger du solide à quatre semaines !
Les petits apprennent l’apnée dans un siphon de la hutte et c’est souvent le mâle qui va les entraîner vers l’extérieur où, en prenant de l’assurance, ils deviennent turbulents et audacieux, voir désobéissants … ! C’est aussi la seule période de leur vie où les petits castors risquent de faire la mauvaise rencontre d’un chien… Par imitation des parents, rapidement, ils ne sortent que de nuit !
* le castoréum est une substance huileuse que les castors expulsent de leur cloaque. Elle a une odeur marquée de goudron.
LES TRAVAUX PAYSAGERS DU CASTOR
Dans le monde animal, le castor est probablement le mammifère qui est le mieux équipé pour aménager son territoire à ses besoins.
Avec la hutte, le plus spectaculaire de ses travaux d’aménagement est le réseaux de barrages et de canaux.
Dans notre région, il existe de magnifiques barrages. Leurs fonctions sont variées. Ils servent à augmenter le volume d’un tronçon de rivière, permettent la formation d’un petit lac ou simplement l’élargissement de rivières ou de canaux.
La création de ces milieux aquatiques et de zones d’alluvionnement, contribue à la biodiversité en accueillant de nombreuses espèces pionnières, quantités d’insectes et d’oiseaux. Le plus haut barrage de Haute-Savoie atteint 1 m 50 et le plus long, plusieurs centaines de mètres ! Schématiquement, le barrage apparaît comme un tapis étanche relevé à 45°. Les premiers rondins sont allongés sur le fond du lit, parallèlement au courant. Les suivants se redressent à mesure que le barrage s’élève. Sur cette armature de base, d’autres branches s’appuient transversalement, le tout est recouvert de feuilles et de boue.
Le barrage est toujours en construction. La moindre fuite est repérée et réparée. Avec ses "moustaches", le castor possède un appareil de détection ultra-sensible de la vitesse d’écoulement de l’eau. En visitant régulièrement un barrage, on s’aperçoit qu’il y a toujours de nouveaux matériaux. Toute la surface immergée est recouverte de boue que les castors ramènent à grandes brassées.
Le réseau de barrages, de canaux et de toboggans constitue un milieu caractéristique qui ne laisse aucun doute sur les occupants du territoire.
Crédit photo Georges Lacroix et Philippe Munier
C’était un jour de mai.
Georges nous avait donné rendez-vous chez lui à Scionzier à 20h00. Nous discutions de quelque sujet naturaliste autour d’un cidre maison quand tout à coup il se leva et nous dit " Il faut y aller pour être en place avant 20h30 ".
Georges nous conduisit à son "affût ", en réalité une petite cabane ouverte sur la rivière, une dérivation de l’Arve qui prend ici la forme d’un cour d’eau paisible à faible courant.
Il nous demanda de rester immobile un moment, le temps, nous dit-il « de nous présenter à ses copains ».
Partagés entre suspicion et curiosité, nous observions la rivière depuis une dizaine de minutes lorsqu’il apparut ; notre "premier" castor !
« Salut Pirate », dit Georges « je te présente Philippe et sa famille, ce sont des amis des castors ».
Pirate, bientôt suivi par trois autres de ses congénères prit ses aises devant la cabane, dévorant pommes et pain sec apportés par Georges. Une "familiarité" proche de l’empreinte acquise à force de patience au bord de la rivière. Georges nous assura que sa présence est indispensable pour que les castors se montrent… Quoi qu’il en soit, se fut un moment unique, magique. La rencontre inoubliable de "l’homme qui murmure à l’oreille des castors" et de ses compagnons.
Tout avait commencé à l’automne précédent, quand, avec les élèves de la classe de quatrième, nous avions entrepris de réaliser des fiches sur les mœurs des castors de la région.
Les noms de Georges Lacroix et de Philippe Mulatier revenaient souvent dans notre recherche de personnes ressources. Aussi, c’est naturellement vers eux que nous sommes allés pour épauler nos recherches et l’aventure des castors commença.
Une aventure qui devait nous mener à l’obtention du premier prix du JUNIOR WATER PRIZE pour la réalisation d’un document pédagogique illustré ci-dessous par ces textes.
Depuis, je revois régulièrement Georges, pour parler du lynx, du loup, des aigles ou du gypaète. Je regarde différemment la rivière parce que je sais où sont les castors et j’aime retrouver leurs traces dans le limon.
Georges est décédé le 4 août 2010 , il a été un guide et un ami irremplaçable.
LE BIOTOPE DU CASTOR
Comme en témoigne le grand nombre de " Brevon " dans notre région, le castor était autrefois présent un peu partout en Haute-Savoie.
S’il n’affectionne pas particulièrement les cours d’eau trop rapides des torrents, il peut, à l’occasion de ses pérégrinations, monter assez haut dans les vallées où il trouve sur des plateaux (Boëge) ou des étangs (La Gouille au Mort, dans le Vouan) des sites qui conviennent à son installation.
Toutefois, chez nous, c’est plutôt en plaine, le long des ruisseaux du Bas Chablais et au bord des grandes rivières qu’il prolifère en utilisant les berges, les lônes (bras morts) et autres étangs.
Le castor a besoin d’eau, de calme, de nourriture en abondance (saules en particulier).
Toutes conditions qui se retrouvent dans les forêts ripisylves du Giffre ou de l’Arve et de quantités d’autres rivières (à Chens sur Léman par exemple). La qualité de l’eau n’a pas beaucoup d’importance. Il est par exemple installé à Genève.
L’extraction des graviers, l’endiguement et les aménagements urbains ou touristiques contribuent à accélérer la vitesse du courant, à abaisser le niveau de la nappe aquifère et à faire disparaître le biotope du castor. Heureusement les actions menées pour maintenir la divagation des rivières encouragent le maintien de quelques zones humides indispensables à la vie de notre ami (anciennes gravières de l’Arve).
Tout un cortège floristique et animal accompagne le castor, qui, en aménageant le milieu à ses besoins permet une biodiversité extraordinaire. Par exemple, gravelot, chevalier guignette, cincle plongeur, bergeronnette des ruisseaux, phragmites, locustelles sont des oiseaux qui partagent couramment le même biotope.
" Brevon" vient de " bièvre ", le castor en vieux français.
LA MAISON DU CASTOR
Nous avons tous en mémoire l’image du castor dans son énorme hutte de branchages !
En réalité, dans notre région, les castors recherchent une berge meuble dans laquelle ils creusent un terrier. Mais à partir de ce départ de construction, le plus souvent sous les racines d’un arbre, tous les types d’ouvrages peuvent se rencontrer : terrier, terrier-hutte, hutte (quand la berge est rocheuse).
L’entrée du terrier doit être sous l’eau, c’est une des raisons d’être des barrages. Elle débouche dans une " chambre" au sec dans laquelle le castor, seul ou en groupe familial, passe une bonne partie de la journée.
Les animaux fabriquent une litière de bois en rongeant sur place des morceaux de saule qu’ils débitent en fines lanières.
Véritable construction bioclimatique la "maison" des castors, équipée d’une aération, protège les animaux du froid et de l’excès de chaleur. Continuellement colmatée, réparée, aménagée, elle peut parfois atteindre 2 mètres de hauteur !
La construction de la hutte est souvent une "extension" de la berge accueillant le terrier ou les travaux nécessaires pour protéger un terrier effondré. Au premier coup d’œil, elle paraît être un tas de bois accumulé par la crue. En réalité sa construction relève d’un savoir-faire réel et méthodique. Les longerons ne sont pas disposés au hasard, il semble qu’il y ait une véritable intelligence architecturale qui ne repose pas que sur l’instinct !
Une même famille de castors ou même un castor isolé possède souvent plusieurs terriers adaptés aux conditions environnementales et en particulier à la hauteur d’eau.
L’ALIMENTATION DU CASTOR
Le castor est exclusivement végétarien, n’en déplaise aux ennemis de ce gros rongeur, persuadés qu’il mange du poisson.
En parcourant le territoire des castors, il est facile de deviner que les arbres et les arbustes constituent l’essentiel des ressources alimentaires. Mais dans notre région, on peut distinguer deux types de comportements. Pendant la saison froide, le castor s’attaque à de gros arbres, peut -être pour éviter de trop longs déplacements car un gros arbre offre une quantité non négligeable de nourriture. Il fait également des réserves de branches qu’il stocke sous l’eau à proximité du terrier. Quand revient le printemps, le castor élargit l’éventail de ses menus et surtout, il coupe de préférence des branches de petite section dont il consomme tout : bourgeons, feuilles et écorce.
Les souches de saule et d’aulne fabriquent de nombreux rejets. Il y a aussi le frêne, le noisetier, le cornouiller mais également des rhizomes de massette et de phragmite. Le castor a un faible pour les fruits : pommes, poires et pour les herbes aquatiques… La plupart du temps, il mange dans son réfectoire, un endroit dans l’eau proche de la berge d’où il peut rapidement plonger pour fuir en cas de dérangement.
Le castor, comme le lapin, est caecotrophile. Il digère la cellulose en deux temps. Digérée par des bactéries spécialisées dans la cæcum, l’écorce est d’abord transformée en boulettes protéinées (les caecotrophes). A leur sortie du cloaque, ces boulettes luisantes sont récupérées par le castor qui les ingère et les digère. La crotte définitive n’est constituée que de sciure…et il est difficile d’en trouver car elles se diluent dans l’eau !
UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
Quand le castor a-t-il disparu de notre région ?
Probablement au début ou au cours du dix-neuvième siècle, victime de la chasse et de la destruction de son habitat.
Le castor était très recherché pour sa fourrure, pour sa chair, et pour son castoréum, utilisé en parfumerie et en pharmacopée. Il était aussi chassé pour lutter contre ses travaux d’abattage. L’endiguement des grands cours d’eau, l’industrialisation, l’assèchement des marais et des bras morts a précipité le déclin de l’espèce dont il ne restait plus en France qu’une population relictuelle dans les années 1930 au bord du Rhône.
Justifiée par la répartition ancienne de l’espèce (en témoignent les nombreux bièvre, brevon, breuvon ("castor" en vieux français) , une campagne de réintroduction est lancée dès 1950 à Genève, puis vers 1970 en Haute- Savoie.
Il a fallu convaincre riverains et utilisateurs des rivières de l’intérêt de cette réintroduction, du caractère inoffensif du castor et de son impact positif sur la biodiversité.
Jusqu’à aujourd’hui il arrive que des barrages trop envahissants soient détruits parce qu’ils provoquent des inondations et certains pêcheurs confondent encore loutre et castor, ce dernier ne mangeant évidemment pas de poisson.
Mais une fois installé il passe plus ou moins inaperçu, nocturne et tranquille : il prospère désormais chez nous. Environ 1000 individus en Haute-Savoie (dont 300 sur l’Arve).données de 2007
DES PARTICULARITÉS ANATOMIQUES ÉTONNANTES
« La nature fait bien les choses ! » Voilà une expression populaire qui s’applique particulièrement bien au castor : toutes ses adaptations physiologiques et anatomiques sont remarquables. Mangeur d’écorces et de végétaux, le castor a un système digestif qui lui permet de subvenir à partir de la consommation… de bois ! Sa mâchoire est équipée de ciseaux à bois (4 incisives de 17 cm de long *) qui s’affûtent en se frottant les unes aux autres. Entre les redoutables incisives et les 16 molaires, un espace sans dent, le diastème, permet à l’animal de transporter divers matériaux.
Le système digestif original permet une digestion en deux temps. La caecotrophie, sorte de rumination où le bol alimentaire, au lieu de remonter de la panse à la bouche, ferait deux fois le circuit complet du tube digestif. Le castor ne se nourrit vraiment qu’au deuxième passage, profitant du travail des bactéries, en consommant ces "fausses crottes" appelées caecotrophes.
A l’issue de ces deux cycles, la crotte est une boule de sciure.
Le castor creuse et nage. Son corps pataud sur le sol (c'est juste une impression parce qu'en cas de danger il est très rapide) est incroyablement hydrodynamique sous l’eau …deux pattes postérieures qui sont très palmées, une queue qui sert de gouvernail, des orifices qui se ferment et une paupière spécifique qui protège l’œil au cours des apnées ( 15 min de capacité en immersion !). Pour creuser, il utilise ses petites pattes antérieures munies de griffes très résistantes. Debout sur ses pattes arrière, il peut transporter divers matériaux (ou ses petits). Il ressemble alors à un petit humain !
Sa queue sert de régulateur thermique, d’outil d’alarme acoustique, de réserve de graisse et de traîneau pour ses petits. Elle est recouverte d’un cuir dessiné de losanges qui font penser à des écailles **.
Le pelage est très épais, c’est ce qui lui a valu sa perte, en Europe d’abord, puis partout dans le nouveau monde ! Il est constitué de jarres qui couvrent un doux duvet. En plongée, les jarres se plaquent sur le corps et isolent de l’air dans le duvet. C’et pourquoi il se "nettoie" après chaque "bain" pour redonner du gonflant à son pelage.
Ses moustaches sont de fins capteurs qui le renseignent sur les vibrations de l’eau et les obstacles dans l’eau sale. Il peut ainsi reconnaître si un barrage à été abîmé à la vitesse du courant. Une particularité anatomique tient à la forme d’un ongle de ses pattes postérieures. Il a une forme de peigne qui lui sert à lisser ses poils, garantie d’une étanchéité vitale.
* Il, semblerait que les hommes préhistoriques aient utilisé les incisives des castors pour fabriquer des outils tranchants !
** C’est la raison pour laquelle les chrétiens le consommaient au carême, classant le castor parmi les poissons…
LA REPRODUCTION ET L’ÉDUCATION DES PETITS
Les castors atteignent la maturité sexuelle vers trois ans. Chassés du terrier familial, ils doivent chercher un nouveau territoire et fonder une colonie.
La recherche de leur nouveau territoire par ces animaux erratiques les oblige à traverser ceux de congénères sur lequel ils peuvent être tolérés.
Mais durant la période de reproduction, de décembre à avril, les comportements territoriaux et le dépôt de castoréum annoncent clairement que le temps des amours prend le pas sur la tolérance. L’accouplement se fait dans l’eau, ventre contre ventre, le mâle s’accrochant sous la femelle, légèrement sur le côté. Il n’y a pas de pénétration. Les castors ont la particularité de posséder un organe sexuel commun au mâle et à la femelle : le cloaque (un peu comme les oiseaux). Le mâle possède un "os pénien " minuscule : le baculum, invisible de l’extérieur.
La gestation dure de 98 à 128 jours, les naissances ont lieux entre le 15 mai et le 15 juin. La portée est de 2 à 4 biévraux. Les petits naissent sans poil et leur peau est rose. Très dépendants de leur mère, ils tètent un lait (Georges Lacroix l’a goûté !) très riche en protéines. L’allaitement dure jusqu’à six semaines mais les petits qui prennent très vite l’apparence d’un mini-castor" commencent à ronger du solide à quatre semaines !
Les petits apprennent l’apnée dans un siphon de la hutte et c’est souvent le mâle qui va les entraîner vers l’extérieur où, en prenant de l’assurance, ils deviennent turbulents et audacieux, voir désobéissants … ! C’est aussi la seule période de leur vie où les petits castors risquent de faire la mauvaise rencontre d’un chien… Par imitation des parents, rapidement, ils ne sortent que de nuit !
* le castoréum est une substance huileuse que les castors expulsent de leur cloaque. Elle a une odeur marquée de goudron.
LES TRAVAUX PAYSAGERS DU CASTOR
Dans le monde animal, le castor est probablement le mammifère qui est le mieux équipé pour aménager son territoire à ses besoins.
Avec la hutte, le plus spectaculaire de ses travaux d’aménagement est le réseaux de barrages et de canaux.
Dans notre région, il existe de magnifiques barrages. Leurs fonctions sont variées. Ils servent à augmenter le volume d’un tronçon de rivière, permettent la formation d’un petit lac ou simplement l’élargissement de rivières ou de canaux.
La création de ces milieux aquatiques et de zones d’alluvionnement, contribue à la biodiversité en accueillant de nombreuses espèces pionnières, quantités d’insectes et d’oiseaux. Le plus haut barrage de Haute-Savoie atteint 1 m 50 et le plus long, plusieurs centaines de mètres ! Schématiquement, le barrage apparaît comme un tapis étanche relevé à 45°. Les premiers rondins sont allongés sur le fond du lit, parallèlement au courant. Les suivants se redressent à mesure que le barrage s’élève. Sur cette armature de base, d’autres branches s’appuient transversalement, le tout est recouvert de feuilles et de boue.
Le barrage est toujours en construction. La moindre fuite est repérée et réparée. Avec ses "moustaches", le castor possède un appareil de détection ultra-sensible de la vitesse d’écoulement de l’eau. En visitant régulièrement un barrage, on s’aperçoit qu’il y a toujours de nouveaux matériaux. Toute la surface immergée est recouverte de boue que les castors ramènent à grandes brassées.
Le réseau de barrages, de canaux et de toboggans constitue un milieu caractéristique qui ne laisse aucun doute sur les occupants du territoire.
Crédit photo Georges Lacroix et Philippe Munier
Libre comme le vent !
Curieux, intelligent, maître incontesté de la voltige, plongeant dans les vallées au petit matin, remontant le long des parois chauffées par le soleil de printemps… Le chocard est l’oiseau de tous les extrêmes, le seul à suivre les alpinistes jusqu’au sommet de l’Everest. Ce « petit corbeau » est familier des randonneurs auxquels il aime rendre visite à l’heure du pique-nique ! Mais que savons-nous réellement de lui ? Pas grand-chose finalement, prenons donc notre envol dans le sillage de cet oiseau emblématique de nos montagnes.
Le chocard est le seul corbeau tricolore : plumage noir aux reflets métalliques, pattes rouge-orangé et bec jaune vif. Ainsi il s’attire la sympathie des randonneurs belges qui n’hésitent pas à partager leur repas avec ce drapeau tricolore ambulant ! Et quel drapeau, 70 à 85 cm d’envergure pour 36 à 39 cm de long, les mensurations idéales pour la voltige à 2000 mètres. C’est à cette altitude que se plaît le chocard bien qu’il puisse sans problème faire de petites virées à plus de 5000 mètres. En France on trouve le chocard dans tous les massifs montagneux, Alpes, Pyrénées et Corse.
C’est un oiseau grégaire, se déplaçant en groupes pouvant dépasser la centaine d’individus ! Au petit matin les biouz-zounous (nom donné au chocard dans la région du Mont-Cenis) prennent les ascendances (de puissants courants thermiques qui remontent des vallées vers les sommets), afin de gagner en altitude. Il n’est pas rare de les voir frôler les falaises, montant comme dans un ascenseur naturel jusqu’à 3500 mètres. Puis vient le moment le plus exaltant, une descente en piqué jusque dans la vallée, c’est en effet dans ces vallées que les chocards aiment déjeuner. Et quel déjeuner ! Le chocard est omnivore :insectes, invertébrés, baies, graines, oeufs, charognes et restes de pique-nique… Toutefois, comme beaucoup d’oiseaux, il ne digère pas le gluten de blé présent dans le pain, il est donc conseillé d'éviter de les nourrir. 30 à 40 g de nourriture sont engloutis chaque jour, le reste est soigneusement dissimulé sous des galets pouvant faire plus de 5 cm de diamètre, un exploit pour cet oiseau de 200 g ! Puis vient l’heure de la remontée, toujours sans effort grâce aux thermiques. En octobre, avec l’arrivée de la neige, la tâche se complique. Il n’est pas rare de voir les chocards s’approcher des habitations où certains habitants bienveillants leur réservent les restes.
Au printemps commence la saison des amours, mars – avril marque le début des parades nuptiales, les oiseaux s’en donnent à cœur joie, exécutant les acrobaties aériennes les plus improbables. Pour autant il est quasiment impossible de distinguer mâle et femelle, en effet il n’existe aucun dimorphisme sexuel chez le chocard. Le couple restera, comme chez la plupart des corvidés, uni à vie. Le nid massif, rembourré d’herbes et de racines, est construit dans une anfractuosité de falaise entre 1700 et 2800 m. Il n’existe pas de véritable colonie d’oiseaux nicheurs mais il n’est pas rare de trouver plusieurs couples sur la même paroi. La femelle pond 3 à 5 œufs, l’incubation durera 18 à 21 jours durant lesquels le mâle assure le ravitaillement. Les oisillons resteront 31 à 38 jours au nid, nourris par les deux parents, s’ils ont de la chance les petits pourront vivre jusqu’à l’âge de 11 ans.
Le chocard à bec jaune est protégé par la Convention de Berne (Annexe II, Oiseau protégé, Article 3). Son proche cousin le crave à bec rouge l’est aussi mais malgré les efforts de protection, ses effectifs continuent de s’effondrer. En moins d’un siècle il a quasiment disparu de nombreux massifs français : Alpes, Pyrénées, Bretagne… On ne le rencontre en grand nombre qu’au Proche Orient ou dans l’Atlas. Les causes de son déclin sont encore inconnues, les principales hypothèses retenues sont les variations climatiques et la disparition de son milieu, les prairies rases.
Le chocard est souvent affublé du nom de « choucas », pourtant il est impossible de les confondre ! Le choucas vit principalement aux abords des villes, dans les constructions humaines notamment les tours et clochers médiévaux qui regorgent d’aires de nidification. En outre, pas plus de jaune que de rouge pour le choucas, ce petit corvidé est entièrement noir ! Fini donc les fausses appellations, c’est bien le chocard que l’on trouve dans nos montagnes.
Le massif de Platé et des Dents du Midi accueillent environ 12 000 couples, ils représentent la majeure partie des effectifs français. Espérons que le chocard ne subisse pas le même sort que son cousin à bec rouge et continue à animer les falaises alpines de ses cris stridents et de ses prouesses aériennes.
Rémi MUNIER, le 20 août 2012
Curieux, intelligent, maître incontesté de la voltige, plongeant dans les vallées au petit matin, remontant le long des parois chauffées par le soleil de printemps… Le chocard est l’oiseau de tous les extrêmes, le seul à suivre les alpinistes jusqu’au sommet de l’Everest. Ce « petit corbeau » est familier des randonneurs auxquels il aime rendre visite à l’heure du pique-nique ! Mais que savons-nous réellement de lui ? Pas grand-chose finalement, prenons donc notre envol dans le sillage de cet oiseau emblématique de nos montagnes.
Le chocard est le seul corbeau tricolore : plumage noir aux reflets métalliques, pattes rouge-orangé et bec jaune vif. Ainsi il s’attire la sympathie des randonneurs belges qui n’hésitent pas à partager leur repas avec ce drapeau tricolore ambulant ! Et quel drapeau, 70 à 85 cm d’envergure pour 36 à 39 cm de long, les mensurations idéales pour la voltige à 2000 mètres. C’est à cette altitude que se plaît le chocard bien qu’il puisse sans problème faire de petites virées à plus de 5000 mètres. En France on trouve le chocard dans tous les massifs montagneux, Alpes, Pyrénées et Corse.
C’est un oiseau grégaire, se déplaçant en groupes pouvant dépasser la centaine d’individus ! Au petit matin les biouz-zounous (nom donné au chocard dans la région du Mont-Cenis) prennent les ascendances (de puissants courants thermiques qui remontent des vallées vers les sommets), afin de gagner en altitude. Il n’est pas rare de les voir frôler les falaises, montant comme dans un ascenseur naturel jusqu’à 3500 mètres. Puis vient le moment le plus exaltant, une descente en piqué jusque dans la vallée, c’est en effet dans ces vallées que les chocards aiment déjeuner. Et quel déjeuner ! Le chocard est omnivore :insectes, invertébrés, baies, graines, oeufs, charognes et restes de pique-nique… Toutefois, comme beaucoup d’oiseaux, il ne digère pas le gluten de blé présent dans le pain, il est donc conseillé d'éviter de les nourrir. 30 à 40 g de nourriture sont engloutis chaque jour, le reste est soigneusement dissimulé sous des galets pouvant faire plus de 5 cm de diamètre, un exploit pour cet oiseau de 200 g ! Puis vient l’heure de la remontée, toujours sans effort grâce aux thermiques. En octobre, avec l’arrivée de la neige, la tâche se complique. Il n’est pas rare de voir les chocards s’approcher des habitations où certains habitants bienveillants leur réservent les restes.
Au printemps commence la saison des amours, mars – avril marque le début des parades nuptiales, les oiseaux s’en donnent à cœur joie, exécutant les acrobaties aériennes les plus improbables. Pour autant il est quasiment impossible de distinguer mâle et femelle, en effet il n’existe aucun dimorphisme sexuel chez le chocard. Le couple restera, comme chez la plupart des corvidés, uni à vie. Le nid massif, rembourré d’herbes et de racines, est construit dans une anfractuosité de falaise entre 1700 et 2800 m. Il n’existe pas de véritable colonie d’oiseaux nicheurs mais il n’est pas rare de trouver plusieurs couples sur la même paroi. La femelle pond 3 à 5 œufs, l’incubation durera 18 à 21 jours durant lesquels le mâle assure le ravitaillement. Les oisillons resteront 31 à 38 jours au nid, nourris par les deux parents, s’ils ont de la chance les petits pourront vivre jusqu’à l’âge de 11 ans.
Le chocard à bec jaune est protégé par la Convention de Berne (Annexe II, Oiseau protégé, Article 3). Son proche cousin le crave à bec rouge l’est aussi mais malgré les efforts de protection, ses effectifs continuent de s’effondrer. En moins d’un siècle il a quasiment disparu de nombreux massifs français : Alpes, Pyrénées, Bretagne… On ne le rencontre en grand nombre qu’au Proche Orient ou dans l’Atlas. Les causes de son déclin sont encore inconnues, les principales hypothèses retenues sont les variations climatiques et la disparition de son milieu, les prairies rases.
Le chocard est souvent affublé du nom de « choucas », pourtant il est impossible de les confondre ! Le choucas vit principalement aux abords des villes, dans les constructions humaines notamment les tours et clochers médiévaux qui regorgent d’aires de nidification. En outre, pas plus de jaune que de rouge pour le choucas, ce petit corvidé est entièrement noir ! Fini donc les fausses appellations, c’est bien le chocard que l’on trouve dans nos montagnes.
Le massif de Platé et des Dents du Midi accueillent environ 12 000 couples, ils représentent la majeure partie des effectifs français. Espérons que le chocard ne subisse pas le même sort que son cousin à bec rouge et continue à animer les falaises alpines de ses cris stridents et de ses prouesses aériennes.
Rémi MUNIER, le 20 août 2012
Les " Oursons du grand rocher "
Extraits du carnet de bord de Monsieur Epicéa
3 avril :
Ça y est, mon vieil ami la marmotte est enfin sorti de son hibernation. Je le reconnais à une balafre sur la lèvre, souvenir d’une violente altercation avec un voisin célibataire, une ancienne querelle territoriale. Voilà six printemps qu’il a élu domicile sous la grosse pierre de la Combe. Il partage le terrier avec une femelle plus jeune que lui. Il y a aussi des gamins ; J’ai hâte de savoir si toute la famille a survécu à l’hiver. Trois chamois ont passé une partie de la nuit prés de moi.
15 avril :
1, 2, 3, 4, 5, 6 … La tribu est au complet ! Il y a les parents, les deux jeunes de l’été dernier et deux autres plus âgés. Comme ils sont maigres ! Il y a encore de la neige, le mâle fait d’incessants voyages entre le terrier et une plaque d’herbe sèche dégagée pour changer la litière. Les autres dégustent des crocus, se papouillent, se chamaillent.
18 avril :
Un cri perçant m’a vrillé les aiguilles ! L’alerte d’une marmotte annonce le retour de l’aigle. Il passe au ras de la pente à la recherche d’imprudentes qui ne rentreraient pas assez vite à l’abri des terriers. Hier, c’est la fille ainée du terrier d’en bas qui s’est fait croquer par le renard.
2 mai :
L’écureuil qui a élu domicile dans la loge du pic s’est disputé avec une petite troupe de becs croisés, ça a bien fait rire le cassenoix.
Aujourd’hui, le père a chassé son fils ainé. Ils se sont dressés l’un contre l’autre, ils ont roulé jusqu’au bas de la pente et puis j’ai vu le jeune s’enfuir bien au delà du ravin. Dommage, je l’aimais bien celui là.
16 mai :
Je ne devrais peut-être pas l’écrire mais j’ai vu les parents « faire des choses ». Je croyais que ça se passait dans l’intimité du terrier ; bon, pas cette fois…Si j’en crois mon amie la taupe, plutôt forte en calcul, d’ici un bon mois, il y aura du nouveau dans la litière toute fraîche. Elle m’a dit que les petits d’à peine trente grammes naissent nus et aveugles. Il faudra encore attendre une quinzaine de jours pour avoir une chance d’observer leur première sortie : j’ai hâte…
4 juillet :
Il y en a quatre ! Comme ils sont choux…On dirait des « petits oursons ». A peine sortis, les boules de poil chahutent et commencent à explorer les alentours. Il n’y a pas que moi qui adore, j’ai senti Rémi se mettre à l’affut en silence derrière mon tronc. Nous observons tous les deux la troupe qui gambade au milieu des fleurs. La maman n’allaite déjà plus, elle surveille en se faisant dorer au soleil. Les bébés goûtent à tout, jouent, se bousculent et tout à coup s’endorment à l’entrée du terrier.
5 août :
De siestes paresseuses en goûters gourmands, mes copines ont une vie plutôt agréable. Les génisses sont remontées vers nous où l’herbe est plus tendre. Elles se mettent à l’abri des mouches à l’ombre de mes branches basses. Quelques randonneurs sont passés en contrebas, les marmottes ne sifflent plus à leur approche, elles ont compris qu’elles ne risquent rien de ces animaux là.
15 septembre :
Une mésange huppée m’a confié aujourd’hui qu’un des jeunes s’est fait enlever par l’aigle. Il aura profité d’une faille dans la surveillance. C’était pendant la « moisson », ce moment particulier où les marmottes s’activent pour rentrer du foin. Le père est capable d’en emporter une quantité incroyable dans la gueule, ça lui fait une grosse moustache comme celle de l’Emile, le paysan qui met ses bêtes sur l’alpage.
Ça sent l’automne tout ça ! Mes camarades sont grosses et grasses, leur poil est touffu et luisant. La nuit dernière j’ai presque frissonné, la température commence vraiment à baisser.
18 octobre :
Cette fois, je crois bien que les marmottes sont rentrées définitivement, déjà trois jours que je ne les vois plus. Elles sont quelque part sous terre pour six mois. J’aimerais bien être un petit mulot, aller les chatouiller et me pelotonner au milieu du tas de poils.
Notes du traducteur :
L’épicéa serait sans doute déçu, les marmottes en hibernation ne dégagent pas beaucoup de chaleur !
Vraies hibernantes, les marmottes s’installent pour tout l’hiver sur leur litière de foin, dans une grande chambre commune, après avoir bouché les entrées principales du terrier. Leur température corporelle s’abaisse de 36 à 8 voire 5 degrés. Le nombre de pulsations cardiaques descend de 150 à 30 et elle ne respire plus que 2 à 3 fois par minute.
Leur survie est assurée par la combustion lente des énormes quantités de graisse accumulée (une marmotte adulte pèse 5,3 kg au début de l’hibernation et seulement 2 kg au réveil !).
Habère-Poche le 2 décembre 2012 - Philippe et Rémi MUNIER
Fiche d'identité de la marmotte
Marmota marmota
Longueur : 60 à 80 cm (dont 13 à 20 pour la queue)
Poids : 4 à 8 kg à l'entrée de l'hibernation
Maturité sexuelle : 3 ans
Rut : avril mai
Gestation : 5 semaines
2 à 6 petits de 30 g qui ne sorrtent du terrier qu'à 40 jours.
Longévité : jusqu'à 20 ans mais rarement au delà de 10 en moyenne.
Herbivore
Extraits du carnet de bord de Monsieur Epicéa
3 avril :
Ça y est, mon vieil ami la marmotte est enfin sorti de son hibernation. Je le reconnais à une balafre sur la lèvre, souvenir d’une violente altercation avec un voisin célibataire, une ancienne querelle territoriale. Voilà six printemps qu’il a élu domicile sous la grosse pierre de la Combe. Il partage le terrier avec une femelle plus jeune que lui. Il y a aussi des gamins ; J’ai hâte de savoir si toute la famille a survécu à l’hiver. Trois chamois ont passé une partie de la nuit prés de moi.
15 avril :
1, 2, 3, 4, 5, 6 … La tribu est au complet ! Il y a les parents, les deux jeunes de l’été dernier et deux autres plus âgés. Comme ils sont maigres ! Il y a encore de la neige, le mâle fait d’incessants voyages entre le terrier et une plaque d’herbe sèche dégagée pour changer la litière. Les autres dégustent des crocus, se papouillent, se chamaillent.
18 avril :
Un cri perçant m’a vrillé les aiguilles ! L’alerte d’une marmotte annonce le retour de l’aigle. Il passe au ras de la pente à la recherche d’imprudentes qui ne rentreraient pas assez vite à l’abri des terriers. Hier, c’est la fille ainée du terrier d’en bas qui s’est fait croquer par le renard.
2 mai :
L’écureuil qui a élu domicile dans la loge du pic s’est disputé avec une petite troupe de becs croisés, ça a bien fait rire le cassenoix.
Aujourd’hui, le père a chassé son fils ainé. Ils se sont dressés l’un contre l’autre, ils ont roulé jusqu’au bas de la pente et puis j’ai vu le jeune s’enfuir bien au delà du ravin. Dommage, je l’aimais bien celui là.
16 mai :
Je ne devrais peut-être pas l’écrire mais j’ai vu les parents « faire des choses ». Je croyais que ça se passait dans l’intimité du terrier ; bon, pas cette fois…Si j’en crois mon amie la taupe, plutôt forte en calcul, d’ici un bon mois, il y aura du nouveau dans la litière toute fraîche. Elle m’a dit que les petits d’à peine trente grammes naissent nus et aveugles. Il faudra encore attendre une quinzaine de jours pour avoir une chance d’observer leur première sortie : j’ai hâte…
4 juillet :
Il y en a quatre ! Comme ils sont choux…On dirait des « petits oursons ». A peine sortis, les boules de poil chahutent et commencent à explorer les alentours. Il n’y a pas que moi qui adore, j’ai senti Rémi se mettre à l’affut en silence derrière mon tronc. Nous observons tous les deux la troupe qui gambade au milieu des fleurs. La maman n’allaite déjà plus, elle surveille en se faisant dorer au soleil. Les bébés goûtent à tout, jouent, se bousculent et tout à coup s’endorment à l’entrée du terrier.
5 août :
De siestes paresseuses en goûters gourmands, mes copines ont une vie plutôt agréable. Les génisses sont remontées vers nous où l’herbe est plus tendre. Elles se mettent à l’abri des mouches à l’ombre de mes branches basses. Quelques randonneurs sont passés en contrebas, les marmottes ne sifflent plus à leur approche, elles ont compris qu’elles ne risquent rien de ces animaux là.
15 septembre :
Une mésange huppée m’a confié aujourd’hui qu’un des jeunes s’est fait enlever par l’aigle. Il aura profité d’une faille dans la surveillance. C’était pendant la « moisson », ce moment particulier où les marmottes s’activent pour rentrer du foin. Le père est capable d’en emporter une quantité incroyable dans la gueule, ça lui fait une grosse moustache comme celle de l’Emile, le paysan qui met ses bêtes sur l’alpage.
Ça sent l’automne tout ça ! Mes camarades sont grosses et grasses, leur poil est touffu et luisant. La nuit dernière j’ai presque frissonné, la température commence vraiment à baisser.
18 octobre :
Cette fois, je crois bien que les marmottes sont rentrées définitivement, déjà trois jours que je ne les vois plus. Elles sont quelque part sous terre pour six mois. J’aimerais bien être un petit mulot, aller les chatouiller et me pelotonner au milieu du tas de poils.
Notes du traducteur :
L’épicéa serait sans doute déçu, les marmottes en hibernation ne dégagent pas beaucoup de chaleur !
Vraies hibernantes, les marmottes s’installent pour tout l’hiver sur leur litière de foin, dans une grande chambre commune, après avoir bouché les entrées principales du terrier. Leur température corporelle s’abaisse de 36 à 8 voire 5 degrés. Le nombre de pulsations cardiaques descend de 150 à 30 et elle ne respire plus que 2 à 3 fois par minute.
Leur survie est assurée par la combustion lente des énormes quantités de graisse accumulée (une marmotte adulte pèse 5,3 kg au début de l’hibernation et seulement 2 kg au réveil !).
Habère-Poche le 2 décembre 2012 - Philippe et Rémi MUNIER
Fiche d'identité de la marmotte
Marmota marmota
Longueur : 60 à 80 cm (dont 13 à 20 pour la queue)
Poids : 4 à 8 kg à l'entrée de l'hibernation
Maturité sexuelle : 3 ans
Rut : avril mai
Gestation : 5 semaines
2 à 6 petits de 30 g qui ne sorrtent du terrier qu'à 40 jours.
Longévité : jusqu'à 20 ans mais rarement au delà de 10 en moyenne.
Herbivore
Le seigneur des rochers !
Qui n’a jamais entendu son nom, aperçu sa silhouette en carte postale ou sur une arrête. Tous les randonneurs l’on croisé au moins une fois, une rencontre inoubliable… Au détour d’une crête, sur une vire herbeuse, il apparaît… Symbole même des Alpes, le bouquetin est sans conteste le mammifère le plus emblématique de nos montagnes.
Et pourtant… Si aujourd’hui contempler cet animal est chose facile, cela n’a pas toujours été le cas. Il a subit le progrès des armes à feu, à la croyance aux vertus thérapeutiques de certaines parties de son organisme, à la majesté de son trophée et à la qualité de sa chair. Facile à approcher il a longtemps été chassé jusqu’à sa quasi extermination partout en Europe. Par chance, en 1821, le roi Charles Félix de Savoie interdit par décret la chasse des bouquetins sur les terres royales du Grand Paradis. Ces efforts de protection seront poursuivis jusqu’en 1922 date à laquelle le Grand Paradis devient parc national italien.
S’en suivra un retour du bouquetin dans toutes les Alpes avec ou sans intervention humaine. En France le bouquetin italien vient renforcer les populations de survivants. En 1963 ils ne sont qu’une soixantaine, il faudra attendre 1981 pour que le bouquetin soit protégé sur le tout territoire français, aujourd’hui ils sont environ 9300 dans les alpes françaises. De plus les efforts de réintroduction se poursuivent actuellement ; en 2010 dans le massif de la Chartreuse. Dans les années à venir il est prévu de tenter des réintroductions dans le Massif Central (Jonte et Ardèche), dans le Dévoluy, les Alpes du Sud et le Verdon. L'étape la plus proche étant les Bauges.
Le Bargy est pour moi le massif où les rencontres avec ce splendide animal ont été les plus régulières. La Combe Sauvage, là où le temps s’est arrêté… Cet endroit secret au cœur de la Chaîne du Bargy est un refuge pour nombre d’individus. Les pentes de l’adret, exposées au soleil, sont occupées par les grands mâles, les autres se partageant les pierriers et les vires en contrebas. Les fusils des chasseurs s’étant tus pour eux, ils sont très faciles à approcher, toutefois une distance minimale est à respecter, un sifflement bref et puissant le rappelle ! Malgré cela il arrive que certains mâles se laissent approcher à quelques mètres seulement. Il m’est même arrivé de devoir changer de sentier pour éviter un mâle non désireux de me voir marcher sur ses plates bandes !
Avec les étagnes, c’est une autre affaire, surtout si celle-ci sont accompagnées de leur cabri. Elles préfèrent s’éloigner soucieuses de la protection de leurs jeunes. Certains récits relatent même qu’elles sont prêtent à charger un homme pour protéger leurs petits ! Les femelles se regroupent souvent en harde à cette saison, le nombre fait la force et les jeunes en profitent pour s’adonner à leur activité favorite : jouer ! Courir, sauter, chahuter… Les « petits mâles » se battent souvent, ces joutes amicales sont les préludes d’une lutte acharnée pour la reproduction.
En effet, au mois de décembre, les mâles se regroupent attirés par les femelles en chaleur. S’étant gavés tout l’été, ils peuvent alors atteindre plus de 120 kilos. Par des manœuvres d’intimidations, les mâles dominants éloignent leurs rivaux moins âgés. Mais lorsque deux mâles sont de force égale, des combats éclatent. Les deux protagonistes choisissent une aire dégagée, se cabrent sur leurs pattes arrières et s’élancent cornes contre cornes… Les chocs sont d’une violence incroyable, un seul coup de corne suffirait à nous briser les deux jambes ! Pour qui a eu la chance d’y assister, le combat est un spectacle qu’on ne peut oublier tant le son des cornes s’entrechoquant reste inscrit dans la mémoire… Le mâle qui aura su se montrer le plus tenace sortira vainqueur du combat, et pourtant il n’est pas au bout de ses peines ! Les étagnes ne sont en chaleur que quelques jours par an, le mâle dominant se fait alors mener par le bout du museau ou plutôt par le bout de la langue ! Il fait alors valoir son meilleur atout de séduction en dévoilant son postérieur d’un blanc éclatant, agitant sa langue en un flehmen courtois. Si elle est dans de bonnes dispositions la femelle signale son désir par un frétillement de la queue. L’accouplement à lieu le plus souvent à la tombée de la nuit, dans l’intimité à l’écart du groupe.
La maturité sexuelle des étagnes est atteinte vers 2 ans, 18 mois pour les mâles. Ces derniers peuvent se reproduire jusqu'à l'âge de 16-17 ans, contre 14-15 ans pour les femelles.
Si tout se passe bien l’étagne donnera naissance à un cabri à la mi-juin après 170 jours de gestation, dans un endroit secret et calme à l’abri des regards et des prédateurs. Le petit alors très vulnérable doit être capable de suivre sa mère 48 heures seulement après la naissance. Ainsi ils pourront tout deux rejoindre la chevrée constituée d’autres femelles accompagnées de leurs jeunes. Chez ces dames l’union fait la force ! Les mâles ne prêtent aucune attention à leur progéniture, une fois le rut terminé ils se retirent et gagnent leurs zones d’hivernages en altitude. Au bout de 6 semaines, la femelle cesse d’allaiter son petit et celui-ci goûte aux plantes gorgées de sève sucrée sous le soleil de printemps.
Avant 2 ans il est très difficile de distinguer mâle et femelle, ensuite grâce à l’étude du diamètre des cornes, plus grand chez les mâles, il est possible de savoir si l’individu est un éterlou (jeune mâle) ou une éterle (jeune femelle). S’il s’agit d’un mâle il devra quitter sa harde au bout de 3 ans pour rejoindre un groupe de mâles adultes.
Il pourra vivre jusqu’à 25 ans en captivité, dans la nature, s’il a de la chance il pourra atteindre 15 ans. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent ce n’est pas en comptant les « bourrelets » présents sur le devant des cornes que l’on peut connaître l’âge d’un bouquetin mais aux anneaux d’âges bien visible chez la plupart des individus sur l’arrière des cornes. Plus simplement la taille des cornes donne une idée du nombre d’anniversaires de l’individu : chez les mâles, l’éterlou de 2 ans possède des cornes d’environ 30 cm, puis 40 pour la troisième année, 50 pour la quatrième et 60 ou plus pour la cinquième. Au-delà cette technique s’avère inefficace car la croissance des cornes ralentit fortement. En bref plus les cornes sont grandes plus l’individu est âgé, on a déjà recensé des individus ayant des cornes de plus de 90 cm qui pesaient 15 kg !
La haute montagne, les à-pics et les crêtes, les vires herbeuses et les falaises… Voilà son domaine. Grâce à ses sabots dont la sole est large et très élastique il se permet de se rendre aux endroits les plus inaccessibles où seuls les chocards les suivront. En hiver les bouquetins retrouvent leur domaine hivernal ou le sol est rapidement dégagé par le vent et où le risque d’avalanche est moins présent : la haute montagne. Contrairement au chamois, il ne possède pas de membrane interdigitale (peau entre les sabots), ainsi son aisance sur la neige est très limitée. Il préfère donc éviter les vallées et les forêts de plus basse altitude fréquentées par les chamois. A l’inverse, au printemps, quand la neige a disparu, il réinvestit son domaine estival jusqu’à 1000 mètres d’altitude. Ce cycle est donc régit par les besoins en nourriture, le bouquetin est exclusivement herbivore. Il recherche en priorité les graminées et légumineuse de montagnes mais ne dédaigne pas les feuilles et les jeunes pousse d’arbuste de l’année qui ont sur lui comme sur nombres de mammifères de effets comparables à celui de l’alcool du fait de la fermentation de ces bourgeons dans leur estomac. Mais si cette ivresse printanière déclenche courses et jeux chez le chamois, c’est la sieste qui frappe le bouquetin ! Pour ce qui est de l’eau le bouquetin ne boit que très rarement dans une flaque ou un ruisseau, en revanche il absorbe régulièrement de la neige ou de la rosée.
On entend souvent dire qu'il y a trop de bouquetins et qu'il faudrait commencer à le chasser. Or le bouquetin a une grande capacité d'autorégulation. Dans les colonies les plus anciennement installées, les effectifs se stabilisent. L'animal n'est pas à l'abris d'épizooties. En 2000, les effectifs de la Vanoise ont brusquement chutés de 40 %.
Pas de chasse en France aussi car le bouquetin n'y est pas cause de dégradations, qu'il est l'ongulé le plus favorable au retour du gypaète et que le loup arrive dans son domaine.
Ici s’achève provisoirement notre tour d’horizon dans les pas de cet emblème alpin régnant en maître sur cette combe oubliée. Je veux croire que cette silhouette rassurante et familière dominera encore longtemps les crêtes du Bargy, sous le ciel rosé de l’aurore hivernale l’ombre du seigneur marquera à jamais ma mémoire d’homme et mes yeux émerveillés.
Texte et photos Rémi et Philippe Munier.
Source : http://www.bouquetin-des-alpes.org/
Suite à cet article, je dois poursuivre par cette triste nouvelle. "Les" magnifiques amis de Rémi ont été tués au nom du principe de précaution. Avec une équipe de volontaires, nous allons essayer de faire un comptage effectif de la population restante. A noter que jusque là, personne ne connaissait exactement la population du Bargy ! Les chiffres annoncés dans cet article sont fantaisistes...
Extrait de presse :
"Entre 200 et 250 bouquetins du Bargy (Haute-Savoie) vont être abattus afin d'éradiquer une épidémie de brucellose, a annoncé aujourd'hui la préfecture de Haute-Savoie. Cette décision d'abattage a été prise après six mois d'études scientifiques menées par les services de l'Etat qui ont permis d'estimer que 38% des bouquetins du Bargy étaient atteints de brucellose. Les animaux les plus infectés sont ceux âgés de plus de 5 ans et les femelles (à 70%).
Les élevages de Haute-Savoie n'ont pour l'instant pas été contaminés. Pour éviter la propagation de l'épidémie, tous les bouquetins de plus de 5 ans vont être tués durant la deuxième quinzaine du mois d'octobre. L'opération d'abattage sera effectuée par des agents de l'ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage) et portera sur 65% de la population de bouquetins du Bargy, qui compte entre 350 et 400 bêtes.
Un nouvel état des lieux sera effectué en 2014 avant la montée des troupeaux en alpage afin de vérifier que la maladie s'est éteinte.
La Haute-Savoie compte environ 2.000 bouquetins, selon la préfecture. Le député UMP Bernard Accoyer a salué "un premier pas substantiel pour contenir l'épizootie". "La vigilance doit rester totale", a-t-il dit. La brucellose en phase aiguë se manifeste par des symptômes tels que fièvre isolée ou syndrome pseudo grippal associant fièvre, douleurs articulaires et musculaires, mal de tête, fatigue."
Tout cela est affligeant et je vous invite à lire les articles de Mathieu Stelvio sur son blog "le bruit du vent" pour avoir un regard armé sur ce massacre qui démontre, une fois de plus, combien la nature sauvage n'est qu'une "variable d'ajustement" dans un monde livré à l'obsession du rendement.
Automne 2013, Philippe
Le point au 5 avril 2017 par le président de la FRAPNA
Bouquetins du Bargy : une éclaircie pour la faune sauvage ?
Chers amis,
Ceux qui se battent depuis maintenant quatre ans pour que vive la harde de bouquetins du massif du Bargy en Haute-Savoie savent pourquoi ils le font, mais sont-ils bien compris ? En effet, cette harde est victime d’une épizootie de brucellose qui touche une proportion significative des individus. Le problème posé est double : prévenir la diffusion de l’infection au-delà du massif du Bargy et éradiquer la maladie sur place.
La solution proposée par les services de L’État, soutenue par les syndicats agricoles et la Fédération des chasseurs, était l’abattage indiscriminé de la harde de bouquetins suivi d’une réintroduction après une période indéterminée de « vide sanitaire ». Nous avons rejeté cette solution pour des raisons éthiques, politiques et scientifiques.
Sur le plan éthique, il s’agit d’une espèce protégée et la proportion d’animaux sains est importante (les deux tiers au moins). Les abattre de manière indiscriminée, grands et petits, n’est pas plus acceptable que le tristement célèbre « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ».
Sur le plan politique, la FNSEA s'est opposée de manière dogmatique à la réintroduction du bouquetin sur le massif des Bauges, alors qu'elle la proposait pour le massif du Bargy sous la condition expresse d'un abattage total préalable. De leur côté, les chasseurs ont cherché à faire lever le statut d'espèce protégée du Bouquetin des Alpes, de manière à le rendre chassable et à en faire des trophées faciles. Ces positionnements opportunistes soutenus par Bernard Accoyer et ses amis ne pouvaient être cautionnés et nécessitaient une réaction forte.
Sur le plan scientifique, on ne peut pas traiter une épizootie en milieu naturel ouvert comme si l’on était dans une étable fermée. Les animaux circulent et peuvent, sous l’effet du stress et de la déstructuration des hardes, se disperser de manière incontrôlable et contaminer les autres massifs. C’est bien là le risque principal à éviter. De plus, il s’agit d’une situation inédite de laquelle il faut apprendre pour mieux gérer de potentiels cas similaires.
Forts de l’existence de méthodes de capture efficaces, de méthodes de marquage des animaux sains, d’un test fiable et rapide pour détecter la séropositivité et d’un vaccin efficace chez la chèvre (une proche cousine) qui ne demandait qu’à être testé, nous avons choisi de résister et ce malgré les pressions et les menaces.
Grâce à l’engagement des militants sur le terrain, simples citoyens ou membres d’associations, aux responsables associatifs qui ont su trouver l’unité, aux scientifiques qui sont sortis de leur réserve, nous avons pu trouver le chemin d’une stratégie de contention puis d’éradication de l’épizootie de brucellose en combinant les approches de manière optimale.
Saluons l’action déterminante du ministère de l’Environnement et l’esprit d’ouverture du nouveau préfet de Haute-Savoie et de certains parlementaires comme Martial Saddier pour arriver à trouver une solution efficace et de moindre risque. Nous espérons que ce long combat fera exemple, y compris en matière de lutte contre les infections bactériennes dans les élevages. En effet, à l’époque où les moyens diagnostics sont d’une précision et d’une puissance inégalée, il n’est plus acceptable en cas de brucellose ou de tuberculose bovine d’abattre systématiquement tout un troupeau au mépris du traumatisme vécu par l’éleveur et sa famille. Tel est le sens de notre action.
Eric FERAILLE, Président régional FRAPNA
Le Gypaète, l'albatros des montagnes ...
Vous avez peut-être encore en mémoire ces quelques vers de Baudelaire, parus dans
"Les fleurs du mal" en 1859.
Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Les navires glissant sur les gouffres amers.
J'ai envie de faire le parallèle avec le gypaète, sacrifié sur l'hôtel de la bêtise humaine.
Pour moi, tout a commencé en 1998 lorsqu'un jeune collègue fou de montagne m'a proposé de "faire" la via ferrata de la Tour du Jallouvre. C'était une belle journée de juin, il faisait chaud. Alors que nous étions dans les échelles du passage un peu raide, nous avons senti une grande ombre nous glisser dans le dos. Emporté par l'ascendance qui longeait la falaise, un grand oiseau, ailes largement déployées resta un moment à notre hauteur, l’œil vif. C'était ma première rencontre avec le gypaète, peut-être la plus émouvante.
Une telle proximité, une telle intensité dans le regard !...Oserais je dire dans "l'échange" ?!...
Depuis je suis retourné des dizaines et des dizaines de fois dans le Bargy. A chaque visite j'attends ce moment privilégié de la rencontre et il est bien rare qu'elle ne se produise pas.
Avec cet article, j'espère vous familiariser un peu avec ce bel oiseau qui niche désormais régulièrement en Haute Savoie à Doran, dans le Bargy et à Sixt. Après une longue période d'absence car le gypaète a été réintroduit à partir des années 80, il avait été totalement éradiqué des Alpes. Réintroduction que l'on doit en particulier à Messieurs Amigues, Hainard, Lacroix, Géroudet...
Un peu plus "technique"
Avec ses 2m80 d’envergure, le gypaète est le plus grand oiseau d’Europe. Il fait partie de la famille des vautours. Son régime alimentaire est presque exclusivement constitué d’os prélevés sur les carcasses d’animaux morts en alpage.
Dans les Alpes les gypaètes ont été exterminé parce qu’ils faisaient peurs aux gens. En particulier, pour expliquer la coloration rouge de sa gorge, on croyait qu’il se roulait dans le sang de ses victimes. On sait depuis peu qu’en réalité cette coloration est due aux bains de boue ferrugineuse et que sa fonction serait une sorte de marquage territorial pour les autres gypaètes.
Persécutés, empoisonnés à la strychnine, les gypaètes ont été entièrement éliminés. Le dernier gypaète des Alpes a été tué dans le val d’Aoste en 1916. Rejoignant ainsi la liste des animaux sauvages éradiqués comme le loup et l’ours.
Grâce à la volonté de naturalistes engagés, une campagne de réintroduction a commencé en 1986. Dans un premier temps, des oiseaux furent importés d’Afghanistan. Mais il s’avéra rapidement plus efficace de faire se reproduire des gypaètes en captivité en utilisant les potentialités des parcs zoologiques européens.
Les jeunes de trois mois sont transportés en montagne dans quelques sites de réintroduction dont le massif du Bargy en Haute-Savoie. La réintroduction se fait toujours par deux, dans des grottes protégées et surveillées. Les jeunes oiseaux sont nourris par les zoologues pendant plusieurs mois puis acquièrent petit à petit leur autonomie. Les premiers vols sont laborieux. Relâchés dans des secteurs d’alpages fréquentés par des moutons, des chamois, des bouquetins, les gypaètes se mettent en quête de carcasses en utilisant les ascendances pour planer sans effort.
Les trois ou quatre premières années, les jeunes oiseaux vont parcourir des distances incroyables dans toutes les Alpes à la recherche d’un territoire. Parfois, comme c’est le cas pour le couple reproducteur du Bargy, Assignat (la femelle) et Balthazard, les oiseaux vont revenir sur leur site de réintroduction.
Les gypaètes sont adultes à 7 ans.
A la suite de spectaculaires démonstrations aériennes et au renforcement du nid, La reproduction a lieue en hiver et en plein mois de février la femelle pond deux œufs dans un vaste nid fait de branchages et de laine. L’incubation dure 53 jours et seul le premier oisillon à naître sera élevé, le second œuf servira de nourriture au jeune gypaète. En à peine trois mois, l’oisillon va atteindre la taille adulte. On remarquera que l’espèce est particulièrement bien adaptée puisque c’est à la fonte des neiges que les carcasses seront découvertes et que les marmottes mortes abondent, c'est-à-dire juste au moment ou le petit a besoin d’énormes quantités de nourriture pour grandir.
La première naissance d’un gypaète issu d’un couple réintroduit a été celle de Phénix en mai 1997, dans le Bargy.
Avec une longévité de trente à quarante ans, le gypaète a le temps d’avoir une vie bien remplie. Mais c’est aussi une vie pleine de dangers ! Braconnage, lignes à haute tension ou remonte-pentes.
C’est un oiseau extrêmement craintif qui ne supporte pas les dérangements, en particulier tous ceux à proximité de son site de nidification.
Le gypaète, étymologiquement aigle vautour (de gyps, vautour et aetos, l’aigle), n’a pas été perçu de la même manière dans les montagnes où il vit (ou vivait). Dans les Alpes ou on l’appelait le phène, il a été tellement craint, qu’il a été éradiqué. Dans les Pyrénées où on l’appelait le casseur d’os, les bergers ont compris l’importance de son rôle d’éboueur de la montagne. En Himalaya, c’est un oiseau sacré auquel on offre les morts pour leur passage dans l’au-delà (le gypaète serait le seul oiseau à maîtriser le feu ! En fait il s’agit des lueurs bleutées des feux follets s’échappant des nids).
Actuellement, le gypaète se reproduit dans les Alpes (il n’a jamais disparu des Pyrénées et de Corse), mais aussi dans l’Atlas, en Himalaya, en Crête, peut-être en Turquie…
Capable de jeûner trois semaines après un bon repas, le gypaète est célèbre pour sa technique de cassage des os trop longs. Il lâche les os sur un pierrier pour les briser. On raconte qu’Eschyle, le poète grec, aurait été tué en 456 avant JC par la chute d’une tortue lâchée par un gypaète.
Les dernières nouvelles de Haute Savoie (mise à jour régulière)
Dans le Bargy, Assignat et Balthazard ont mené à terme la couvaison débutée en mars. Le 11 juillet 2010, le onzième rejeton du couple a pris son envol.
L'oiseau de Sixt s'est envolé aussi en juillet mais celui du couple des Aravis est mort très tôt.
En 2012, un gypaète a pris son envol à Sixt le 13 juin et un autre dans le Bargy le 18 juin, il a été baptisé "Arole" par ses parrains, ADRET était représenté à la cérémonie au Frachet le mardi 14 août. L'oiseau né à Doran est mort trés vite des suites d'une malformation des plumes, décidément ce couple des Aravis a bien du mal depuis 2006 à mener à terme un élevage.
Janvier 2016
Les conditions météo de début janvier ne nous ont pas permis de suivre régulièrement les couples de Gypaètes barbus de Haute-Savoie. Avec le retour du beau temps, c'est chose faite, où en est-on ?
- Couple des Aravis Nord (Magland) : la ponte a été détectée très tôt en janvier, les adultes continuent de couver.
- Couple de Sixt-fer-a-Cheval : la ponte a eu lieu le 19 janvier 2016 dans le même nid à la sortie du village.
- Couple du Bargy : Une ponte a été détectée mi janvier dans un nid versant Nord (Mont Saxonnex) mais aussi quelques jours plus tard dans un nid versant Sud (Le Reposoir). 3 ou 4 adultes seraient présents et on ne sait pas si on doit parler de 2 couples ou de 4 adultes couvant dans deux nids différents. Nous réalisons un suivi de terrain intensif afin de déterminer si les œufs sont bien couvés et les relèves régulières. Affaire à suivre !
- Un nouveau couple est en installation dans la Réserve Naturelle de Passy, les deux individus sont bien présents, aucune ponte n'a été encore détectée.
Merci de respecter les zones de tranquillité.
Pour ce faire, une démarche nationale portée dans le cadre du plan national d'action (PNA) est la désignation de ZSM (zones de sensibilité majeure) autour des nids au sein desquelles les activités humaines doivent être réduites.
Voici ci dessous les ZSM de Haute-Savoie pour la saison de reproduction 2023/2024 (mise à jour au 1 mars 2024) :
- ZSM du Bargy
- ZSM de Sixt-Fer-a-Cheval
- ZSM de Sixt-Passy
- ZSM de Pierre Fendue (Sallanches)
- ZSM de Luzier (Sallanches)
- ZSM de Morzine
En fonction de l'état de l'occupation au cours de la saison de reproduction, certaines ZSM vont disparaitre et d'autres peuvent apparaitre (nouveau couple ou nouveau nid).
Pour en savoir plus, allez voir sur le site d'ASTERS : gypaete-barbu.com
Eh oh ! Moi aussi je sais raconter des histoires ! Dit le gypaète...
Lisez donc celle-ci...!
Il y en a un plus sombre que les autres. Des galets tournoient sans fin, creusant dans le lit rocheux du torrent une marmite polie. J’aime la complicité destructrice de l’eau et du granit, à cet endroit encaissé du vallon où j’ai mes habitudes. En m’apercevant, les marmottes du grand cahot sifflent l’alerte d’un seul cri aigu avant de se replier dans un grand remue-ménage vers les terriers où elles disparaissent un instant. Je sais qu’elles sont trop curieuses pour rester longtemps à l’ombre et bien vite, elles émergent à petits coups de museau circonspects avant de reprendre leurs occupations… Elles devraient pourtant se douter qu’elles ne risquent rien, depuis le temps qu’on se côtoie. Les étagnes, peut-être moins craintives ou plus malignes, restent calmes. Mais celles qui sont accompagnées d’un petit se rapprochent d’eux et ne me quittent pas de leur regard doré.
A l’aube, j’ai aperçu le renard, il profite de mon passage pour s’approcher sous le vent des marmottes, à l’ombre des mélèzes, espérant tromper leur vigilance ou surprendre un jeune isolé des adultes. Mais ce qu’il peut être pataud ! L’âge peut-être ?
Les chamois viennent boire à ma source, enfin, ma source : c’est plutôt notre source à tous. Pour moi elle a une importance particulière parce que c’est ici que je viens teindre mon cou dans la boue ferrugineuse. Ne me demandez pas pourquoi, j’en ressens le besoin, c’est tout. Peut-être une coquetterie ?
Installé sur un gros bloc en équilibre sous les derniers névés, j’observe ce territoire familier, j’écarte à peine les ailes sous les premiers rayons du soleil ; c’est toujours à ces moments là que les songes de mon peuple reviennent éveiller ma mémoire à coups de flashs qui frappent mes paupières closes comme les éclairs d’un orage de chaleur.
Ce sont des montagnes immenses, toutes couvertes de neige. Sur une grande dalle de pierre couverte de sang et d’éclats d’os, des hommes découpent leurs morts qu’ils donnent à manger à mes aïeux, les anciens se nourrissent de cette chair, en gavent leurs progénitures… J’ai parfois du mal à comprendre ces images parce que mon expérience au contact des hommes évoque des souvenirs bien différents. Ils m’ont tenu enfermé dans une cage pendant très longtemps et puis, un jour, ils m’ont conduit dans ces montagnes, dans une grotte qui est restée ma grotte. Ils m’ont nourri pendant quelque temps et puis ils ont cessé de me rendre visite, j’ai dû me débrouiller, prendre mon envol…
Ah ce premier vol ! Je me suis approché tout au bord de la grotte, face au vide d’une falaise que je n’avais pas vraiment remarqué jusque là. Une bulle d’air montait le long des roches chauffées par un beau soleil. J’ai écarté mes ailes au maximum et je me suis jeté d’un coup. Cette sensation ! J’ai senti mes rémiges s’écarter en repoussant l’air vers l’extérieur mais la vitesse m’a tout de suite fait sortir de l’ascendance et je me suis mis à piquer vers le sol ! En essayant des mouvements un peu par hasard, j’ai réussi à éviter la forêt et à retrouver l’air chaud qui m’a ramené suffisamment haut pour que je fasse un atterrissage en catastrophe sur mon aire… Avec le temps, j’ai appris à contrôler tout ça et, sans me vanter, j’estime être devenu un as du vol libre. Pour planer, je suis bien mieux équipé que mon prétentieux voisin l’aigle. Depuis qu’il s’est trouvé une dame, il fait le beau à longueur de journée et n’a de cesse de chercher querelle aux grands corbeaux pour faire l’intéressant.
C’est bien beau tout ça mais si ces nuages qui bourgeonnent à l’est envahissent le ciel, il fera trop froid pour que je parte en chasse, je vais continuer à papoter et vous allez devoir supporter mes petites histoires.
J’ai faim ! Déjà trois jours sans manger. Entre la pluie, le manque de vent et le froid, je n’ai pas pu voler. C’est dommage parce que j’ai repéré mon repas, un peu plus haut que la roche foudroyée. Il y a eu beaucoup de neige cet hiver et des animaux ont été emportés par des avalanches ; des cornes de bouquetin dépassent d’un névé, avec un peu de chance, la neige a un peu fondu et je pourrai récupérer des os.
Oui, je ne mange que des os : quand je pense que les hommes ont presque exterminé mes semblables prétextant qu’ils enlevaient les moutons et les petits enfants !
Décidément le temps ne s’arrange pas ! D’ici à ce que je sois obligé de poursuivre mon jeûne ?
Je vais en profiter pour vous raconter une aventure qui m’est arrivée il y a quelques années.
Tout a commencé par une journée comme celle-ci, j’étais sur ce même rocher et je rêvassais en regardant les pierres tourner sans fin dans le courant. Un cincle déployait une énergie folle à plonger sous l’eau où il cherchait des larves pour nourrir ses petits. Je le voyais marcher au fond en s’agrippant aux graviers, remonter, hocher quelques instants sur sa pierre, replonger pour ressortir un peu plus loin, voler en rase-mottes jusqu’à son nid, le bec plein de bestioles, replonger, ressortir…
Au bout d’un moment de ce manège amusant, je lui demandai s’il voulait m’enseigner sa méthode parce que j’avais envie d’apprendre à pêcher comme lui. C’était un très gentil cincle et il m’expliqua, non sans s’interrompre sans cesse pour plonger, ressortir, voler au nid, revenir…Une technique dont je compris l’essentiel. Mais bien qu’en m’appliquant, je ne réussis qu’à mouiller la barbiche et à rayer mon bec sur les graviers.
Je suis persévérant et je décidai de ne pas en rester là.
Le cincle, qui connaissait admirablement son milieu, me conseilla de suivre le torrent jusqu’à une rivière plus importante qui serpentait dans une forêt de trembles. A en croire mon petit camarade, les hérons installés dans la roselière du bois inondé pourraient sans doute me renseigner parce que, me dit-il "ce sont des oiseaux aussi grands qui toi !".
Je ne m’étais encore jamais autant éloigné de mes montagnes. Aux paysages de pierres et de pelouses qui faisaient mon quotidien succédaient des collines, des forêts de plus en plus denses et hautes.
Avant de se jeter dans une grande rivière aux teintes limoneuses, le torrent faisait un bond fantastique ; créant une cascade où l’eau explosait en milliards de perles. Le souffle d’air de la chute me maintint un moment suspendu dans son irisation, puis je me laissai glisser au-dessus de la rivière à la recherche des hérons…
Au pied de la cascade, un petit oiseau couleur de jonquille qui répondait au joli nom de bergeronnette printanière, accepta de cesser un moment sa quête d’insectes pour me renseigner. Elle ne portait pas les hérons dans son cœur et me dissuada d’aller vers eux. C’était, selon elle, de grandes bêtes bagarreuses tout juste capables d’attraper des grenouilles dans les près…Elle me persuada qu’il fallait plutôt rencontrer le martin.
Le martin est une flèche turquoise qui habite un terrier dans la berge meuble de la rivière. Il se montra très sympathique mais d’une vivacité telle que ses explications compliquées, à elles seules, me firent mal au crâne. Pour ne pas être désobligeant, et parce que je suis poli, j’acceptai d’essayer de le suivre un moment malgré tout dans sa quête de minuscules poissons ; mais rien ne se passa comme il le souhaitait. Je commençai par m’empêtrer les ailes dans le dédale inextricable de son domaine, avant d’échouer lamentablement la tête entre les pattes dans la tentative désespérée d’un demi tour sur place. J’étais bien incapable de le suivre dans le tourbillon de ses vols au ras de l’eau et encore moins en mesure de plonger en piqué sur les minuscules proies ; je ne suis pas équipé du bec qu’il faut pour cela. Le petit oiseau s’aperçut, un peu déçu, de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions.
Il se concerta avec la bergeronnette et ils me conseillèrent de continuer à voler en suivant le cours de l’eau jusqu’au grand lac. Je trouverais là-bas, d’après eux, des oiseaux capables de m’enseigner l’art de la pêche.
Ce fut compliqué de quitter les bords de la rivière. Heureusement, une brise thermique s’élevant au dessus d’une clairière proche abrégea le ridicule de ma situation difficile. Mon immense envergure s’accommode mal avec la marche !
J’enroulai avec délectation l’onde chaude en orbes serrés qui m’amenèrent en quelques instants très haut dans le ciel …
En direction du levant, je distinguai une ligne claire bordée du vert sombre d’une forêt de conifères ; le ruban ondulant de la rivière venait y mourir en un large éventail d’eaux troublées.
A l’aplomb de ce delta, je remarquai une très grande activité.
La rencontre des eaux froides, chargées d’alluvions arrachées à la montagne, et des eaux limpides du lac, plus chaudes, formait des tourbillons où une myriade d’oiseaux se chamaillait à grands cris.
Les plus nombreux, j’appris plus tard qu’il s’agissait de mouettes, formaient un tapis gris et blanc, fuyant d’un bloc sonore à la moindre alerte. Se posant tantôt sur l’eau, tantôt sur les branches nues d’un gros arbre délavé déposé là par une crue.
Sur un bloc erratique un peu plus loin du rivage, quelques cormorans faisaient sécher leurs plumes. L’un d’eux que j’avais vu plonger émergea la tête en avant, une queue frétillante de poisson dépassant de son bec, le gosier dilate au passage de la proie.
Alors que je m’apprêtais à aller vers eux, un rapace au ventre blanc avec un curieux bandeau noir sur l’œil, fila en rasant l’eau à la barbe des cormorans. Il sembla se poser avec violence et je crus un instant qu’il allait se noyer : mais de quelques puissants coups d’ailes, dans un grand éclaboussement, il était déjà reparti en soulevant une nuée de gouttelettes, emportant entre ses serres un énorme poisson gigotant dont les écailles lançaient des éclats d’argent.
Le chasseur, enfin, le pêcheur, se dirigea vers un très grand frêne où il commença à dévorer son butin.
C’était un oiseau loquace qui avait beaucoup voyagé. Il m’expliqua entre deux becquées goulues les périples de ses migrations, les dangers des cols embrumés, la beauté des paysages, l’immensité de la mer… Le balbuzard, puisque c’est ainsi qu’il se présenta, me fit goûter à son poisson. Eh bien mes amis…Je l’ai aussitôt recraché !
Quand je pense que j’avais fait tout ce voyage pour ça !
Décidément il était inutile de songer à pêcher : Gypaète je suis, en gypaète je devais me comporter et continuer inlassablement à débarrasser la montagne de ses carcasses.
Tandis que le grand vautour s’était laissé aller à raconter son aventure, une petite troupe de chocards s’était installé pour l’écouter.
Sortant tout à coup de sa rêverie éveillée, le grand oiseau s’ébroue…
Effrayés, d’un seul mouvement, ils s’envolent tous comme une partition de croches.
Traits noirs sur le gris des roches d’où jaillissent des sifflements qui font penser à la résonance de cailloux jetés sur une mare gelée.
Le ciel se déchire, le soleil chauffe enfin, une brise encourage mes rémiges à s’ouvrir, je vais pouvoir décoller.
J’adore voler !
J’éprouve un plaisir immense à raser les parois où des grimpeurs s’évertuent à ramper ; je sais qu’ils m’envient et m’admirent. Mais je suis ici grâce à eux, c’est normal que je leur restitue un peu d’affection en restant dans ces montagnes et en allant les saluer.
Vous le dire aujourd’hui, c’est aussi un pas vers eux. Quand nos regards se croisent, je ressens que nous avons tous notre place ici, de l’humble fourmi à l’ours, du colchique à la ronce, du moineau à l’aigle, de la souri au loup, de l’homme au gypaète…J’ai le sentiment que nous pouvons communiquer et vivre ensemble.
Là-haut, sur notre nid de branches et de laine, ma femelle couve notre unique œuf, promesse de vie que nous espérons enfin mener à terme, cela fait déjà deux années que nous échouons…
Serons-nous de bons parents ?
Il y en a un plus clair que les autres, des galets tournoient sans fin, creusant dans ma conscience d’oiseau un monde libre…
Vous avez peut-être encore en mémoire ces quelques vers de Baudelaire, parus dans
"Les fleurs du mal" en 1859.
Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Les navires glissant sur les gouffres amers.
J'ai envie de faire le parallèle avec le gypaète, sacrifié sur l'hôtel de la bêtise humaine.
Pour moi, tout a commencé en 1998 lorsqu'un jeune collègue fou de montagne m'a proposé de "faire" la via ferrata de la Tour du Jallouvre. C'était une belle journée de juin, il faisait chaud. Alors que nous étions dans les échelles du passage un peu raide, nous avons senti une grande ombre nous glisser dans le dos. Emporté par l'ascendance qui longeait la falaise, un grand oiseau, ailes largement déployées resta un moment à notre hauteur, l’œil vif. C'était ma première rencontre avec le gypaète, peut-être la plus émouvante.
Une telle proximité, une telle intensité dans le regard !...Oserais je dire dans "l'échange" ?!...
Depuis je suis retourné des dizaines et des dizaines de fois dans le Bargy. A chaque visite j'attends ce moment privilégié de la rencontre et il est bien rare qu'elle ne se produise pas.
Avec cet article, j'espère vous familiariser un peu avec ce bel oiseau qui niche désormais régulièrement en Haute Savoie à Doran, dans le Bargy et à Sixt. Après une longue période d'absence car le gypaète a été réintroduit à partir des années 80, il avait été totalement éradiqué des Alpes. Réintroduction que l'on doit en particulier à Messieurs Amigues, Hainard, Lacroix, Géroudet...
Un peu plus "technique"
Avec ses 2m80 d’envergure, le gypaète est le plus grand oiseau d’Europe. Il fait partie de la famille des vautours. Son régime alimentaire est presque exclusivement constitué d’os prélevés sur les carcasses d’animaux morts en alpage.
Dans les Alpes les gypaètes ont été exterminé parce qu’ils faisaient peurs aux gens. En particulier, pour expliquer la coloration rouge de sa gorge, on croyait qu’il se roulait dans le sang de ses victimes. On sait depuis peu qu’en réalité cette coloration est due aux bains de boue ferrugineuse et que sa fonction serait une sorte de marquage territorial pour les autres gypaètes.
Persécutés, empoisonnés à la strychnine, les gypaètes ont été entièrement éliminés. Le dernier gypaète des Alpes a été tué dans le val d’Aoste en 1916. Rejoignant ainsi la liste des animaux sauvages éradiqués comme le loup et l’ours.
Grâce à la volonté de naturalistes engagés, une campagne de réintroduction a commencé en 1986. Dans un premier temps, des oiseaux furent importés d’Afghanistan. Mais il s’avéra rapidement plus efficace de faire se reproduire des gypaètes en captivité en utilisant les potentialités des parcs zoologiques européens.
Les jeunes de trois mois sont transportés en montagne dans quelques sites de réintroduction dont le massif du Bargy en Haute-Savoie. La réintroduction se fait toujours par deux, dans des grottes protégées et surveillées. Les jeunes oiseaux sont nourris par les zoologues pendant plusieurs mois puis acquièrent petit à petit leur autonomie. Les premiers vols sont laborieux. Relâchés dans des secteurs d’alpages fréquentés par des moutons, des chamois, des bouquetins, les gypaètes se mettent en quête de carcasses en utilisant les ascendances pour planer sans effort.
Les trois ou quatre premières années, les jeunes oiseaux vont parcourir des distances incroyables dans toutes les Alpes à la recherche d’un territoire. Parfois, comme c’est le cas pour le couple reproducteur du Bargy, Assignat (la femelle) et Balthazard, les oiseaux vont revenir sur leur site de réintroduction.
Les gypaètes sont adultes à 7 ans.
A la suite de spectaculaires démonstrations aériennes et au renforcement du nid, La reproduction a lieue en hiver et en plein mois de février la femelle pond deux œufs dans un vaste nid fait de branchages et de laine. L’incubation dure 53 jours et seul le premier oisillon à naître sera élevé, le second œuf servira de nourriture au jeune gypaète. En à peine trois mois, l’oisillon va atteindre la taille adulte. On remarquera que l’espèce est particulièrement bien adaptée puisque c’est à la fonte des neiges que les carcasses seront découvertes et que les marmottes mortes abondent, c'est-à-dire juste au moment ou le petit a besoin d’énormes quantités de nourriture pour grandir.
La première naissance d’un gypaète issu d’un couple réintroduit a été celle de Phénix en mai 1997, dans le Bargy.
Avec une longévité de trente à quarante ans, le gypaète a le temps d’avoir une vie bien remplie. Mais c’est aussi une vie pleine de dangers ! Braconnage, lignes à haute tension ou remonte-pentes.
C’est un oiseau extrêmement craintif qui ne supporte pas les dérangements, en particulier tous ceux à proximité de son site de nidification.
Le gypaète, étymologiquement aigle vautour (de gyps, vautour et aetos, l’aigle), n’a pas été perçu de la même manière dans les montagnes où il vit (ou vivait). Dans les Alpes ou on l’appelait le phène, il a été tellement craint, qu’il a été éradiqué. Dans les Pyrénées où on l’appelait le casseur d’os, les bergers ont compris l’importance de son rôle d’éboueur de la montagne. En Himalaya, c’est un oiseau sacré auquel on offre les morts pour leur passage dans l’au-delà (le gypaète serait le seul oiseau à maîtriser le feu ! En fait il s’agit des lueurs bleutées des feux follets s’échappant des nids).
Actuellement, le gypaète se reproduit dans les Alpes (il n’a jamais disparu des Pyrénées et de Corse), mais aussi dans l’Atlas, en Himalaya, en Crête, peut-être en Turquie…
Capable de jeûner trois semaines après un bon repas, le gypaète est célèbre pour sa technique de cassage des os trop longs. Il lâche les os sur un pierrier pour les briser. On raconte qu’Eschyle, le poète grec, aurait été tué en 456 avant JC par la chute d’une tortue lâchée par un gypaète.
Les dernières nouvelles de Haute Savoie (mise à jour régulière)
Dans le Bargy, Assignat et Balthazard ont mené à terme la couvaison débutée en mars. Le 11 juillet 2010, le onzième rejeton du couple a pris son envol.
L'oiseau de Sixt s'est envolé aussi en juillet mais celui du couple des Aravis est mort très tôt.
En 2012, un gypaète a pris son envol à Sixt le 13 juin et un autre dans le Bargy le 18 juin, il a été baptisé "Arole" par ses parrains, ADRET était représenté à la cérémonie au Frachet le mardi 14 août. L'oiseau né à Doran est mort trés vite des suites d'une malformation des plumes, décidément ce couple des Aravis a bien du mal depuis 2006 à mener à terme un élevage.
Janvier 2016
Les conditions météo de début janvier ne nous ont pas permis de suivre régulièrement les couples de Gypaètes barbus de Haute-Savoie. Avec le retour du beau temps, c'est chose faite, où en est-on ?
- Couple des Aravis Nord (Magland) : la ponte a été détectée très tôt en janvier, les adultes continuent de couver.
- Couple de Sixt-fer-a-Cheval : la ponte a eu lieu le 19 janvier 2016 dans le même nid à la sortie du village.
- Couple du Bargy : Une ponte a été détectée mi janvier dans un nid versant Nord (Mont Saxonnex) mais aussi quelques jours plus tard dans un nid versant Sud (Le Reposoir). 3 ou 4 adultes seraient présents et on ne sait pas si on doit parler de 2 couples ou de 4 adultes couvant dans deux nids différents. Nous réalisons un suivi de terrain intensif afin de déterminer si les œufs sont bien couvés et les relèves régulières. Affaire à suivre !
- Un nouveau couple est en installation dans la Réserve Naturelle de Passy, les deux individus sont bien présents, aucune ponte n'a été encore détectée.
Merci de respecter les zones de tranquillité.
Pour ce faire, une démarche nationale portée dans le cadre du plan national d'action (PNA) est la désignation de ZSM (zones de sensibilité majeure) autour des nids au sein desquelles les activités humaines doivent être réduites.
Voici ci dessous les ZSM de Haute-Savoie pour la saison de reproduction 2023/2024 (mise à jour au 1 mars 2024) :
- ZSM du Bargy
- ZSM de Sixt-Fer-a-Cheval
- ZSM de Sixt-Passy
- ZSM de Pierre Fendue (Sallanches)
- ZSM de Luzier (Sallanches)
- ZSM de Morzine
En fonction de l'état de l'occupation au cours de la saison de reproduction, certaines ZSM vont disparaitre et d'autres peuvent apparaitre (nouveau couple ou nouveau nid).
Pour en savoir plus, allez voir sur le site d'ASTERS : gypaete-barbu.com
Eh oh ! Moi aussi je sais raconter des histoires ! Dit le gypaète...
Lisez donc celle-ci...!
Il y en a un plus sombre que les autres. Des galets tournoient sans fin, creusant dans le lit rocheux du torrent une marmite polie. J’aime la complicité destructrice de l’eau et du granit, à cet endroit encaissé du vallon où j’ai mes habitudes. En m’apercevant, les marmottes du grand cahot sifflent l’alerte d’un seul cri aigu avant de se replier dans un grand remue-ménage vers les terriers où elles disparaissent un instant. Je sais qu’elles sont trop curieuses pour rester longtemps à l’ombre et bien vite, elles émergent à petits coups de museau circonspects avant de reprendre leurs occupations… Elles devraient pourtant se douter qu’elles ne risquent rien, depuis le temps qu’on se côtoie. Les étagnes, peut-être moins craintives ou plus malignes, restent calmes. Mais celles qui sont accompagnées d’un petit se rapprochent d’eux et ne me quittent pas de leur regard doré.
A l’aube, j’ai aperçu le renard, il profite de mon passage pour s’approcher sous le vent des marmottes, à l’ombre des mélèzes, espérant tromper leur vigilance ou surprendre un jeune isolé des adultes. Mais ce qu’il peut être pataud ! L’âge peut-être ?
Les chamois viennent boire à ma source, enfin, ma source : c’est plutôt notre source à tous. Pour moi elle a une importance particulière parce que c’est ici que je viens teindre mon cou dans la boue ferrugineuse. Ne me demandez pas pourquoi, j’en ressens le besoin, c’est tout. Peut-être une coquetterie ?
Installé sur un gros bloc en équilibre sous les derniers névés, j’observe ce territoire familier, j’écarte à peine les ailes sous les premiers rayons du soleil ; c’est toujours à ces moments là que les songes de mon peuple reviennent éveiller ma mémoire à coups de flashs qui frappent mes paupières closes comme les éclairs d’un orage de chaleur.
Ce sont des montagnes immenses, toutes couvertes de neige. Sur une grande dalle de pierre couverte de sang et d’éclats d’os, des hommes découpent leurs morts qu’ils donnent à manger à mes aïeux, les anciens se nourrissent de cette chair, en gavent leurs progénitures… J’ai parfois du mal à comprendre ces images parce que mon expérience au contact des hommes évoque des souvenirs bien différents. Ils m’ont tenu enfermé dans une cage pendant très longtemps et puis, un jour, ils m’ont conduit dans ces montagnes, dans une grotte qui est restée ma grotte. Ils m’ont nourri pendant quelque temps et puis ils ont cessé de me rendre visite, j’ai dû me débrouiller, prendre mon envol…
Ah ce premier vol ! Je me suis approché tout au bord de la grotte, face au vide d’une falaise que je n’avais pas vraiment remarqué jusque là. Une bulle d’air montait le long des roches chauffées par un beau soleil. J’ai écarté mes ailes au maximum et je me suis jeté d’un coup. Cette sensation ! J’ai senti mes rémiges s’écarter en repoussant l’air vers l’extérieur mais la vitesse m’a tout de suite fait sortir de l’ascendance et je me suis mis à piquer vers le sol ! En essayant des mouvements un peu par hasard, j’ai réussi à éviter la forêt et à retrouver l’air chaud qui m’a ramené suffisamment haut pour que je fasse un atterrissage en catastrophe sur mon aire… Avec le temps, j’ai appris à contrôler tout ça et, sans me vanter, j’estime être devenu un as du vol libre. Pour planer, je suis bien mieux équipé que mon prétentieux voisin l’aigle. Depuis qu’il s’est trouvé une dame, il fait le beau à longueur de journée et n’a de cesse de chercher querelle aux grands corbeaux pour faire l’intéressant.
C’est bien beau tout ça mais si ces nuages qui bourgeonnent à l’est envahissent le ciel, il fera trop froid pour que je parte en chasse, je vais continuer à papoter et vous allez devoir supporter mes petites histoires.
J’ai faim ! Déjà trois jours sans manger. Entre la pluie, le manque de vent et le froid, je n’ai pas pu voler. C’est dommage parce que j’ai repéré mon repas, un peu plus haut que la roche foudroyée. Il y a eu beaucoup de neige cet hiver et des animaux ont été emportés par des avalanches ; des cornes de bouquetin dépassent d’un névé, avec un peu de chance, la neige a un peu fondu et je pourrai récupérer des os.
Oui, je ne mange que des os : quand je pense que les hommes ont presque exterminé mes semblables prétextant qu’ils enlevaient les moutons et les petits enfants !
Décidément le temps ne s’arrange pas ! D’ici à ce que je sois obligé de poursuivre mon jeûne ?
Je vais en profiter pour vous raconter une aventure qui m’est arrivée il y a quelques années.
Tout a commencé par une journée comme celle-ci, j’étais sur ce même rocher et je rêvassais en regardant les pierres tourner sans fin dans le courant. Un cincle déployait une énergie folle à plonger sous l’eau où il cherchait des larves pour nourrir ses petits. Je le voyais marcher au fond en s’agrippant aux graviers, remonter, hocher quelques instants sur sa pierre, replonger pour ressortir un peu plus loin, voler en rase-mottes jusqu’à son nid, le bec plein de bestioles, replonger, ressortir…
Au bout d’un moment de ce manège amusant, je lui demandai s’il voulait m’enseigner sa méthode parce que j’avais envie d’apprendre à pêcher comme lui. C’était un très gentil cincle et il m’expliqua, non sans s’interrompre sans cesse pour plonger, ressortir, voler au nid, revenir…Une technique dont je compris l’essentiel. Mais bien qu’en m’appliquant, je ne réussis qu’à mouiller la barbiche et à rayer mon bec sur les graviers.
Je suis persévérant et je décidai de ne pas en rester là.
Le cincle, qui connaissait admirablement son milieu, me conseilla de suivre le torrent jusqu’à une rivière plus importante qui serpentait dans une forêt de trembles. A en croire mon petit camarade, les hérons installés dans la roselière du bois inondé pourraient sans doute me renseigner parce que, me dit-il "ce sont des oiseaux aussi grands qui toi !".
Je ne m’étais encore jamais autant éloigné de mes montagnes. Aux paysages de pierres et de pelouses qui faisaient mon quotidien succédaient des collines, des forêts de plus en plus denses et hautes.
Avant de se jeter dans une grande rivière aux teintes limoneuses, le torrent faisait un bond fantastique ; créant une cascade où l’eau explosait en milliards de perles. Le souffle d’air de la chute me maintint un moment suspendu dans son irisation, puis je me laissai glisser au-dessus de la rivière à la recherche des hérons…
Au pied de la cascade, un petit oiseau couleur de jonquille qui répondait au joli nom de bergeronnette printanière, accepta de cesser un moment sa quête d’insectes pour me renseigner. Elle ne portait pas les hérons dans son cœur et me dissuada d’aller vers eux. C’était, selon elle, de grandes bêtes bagarreuses tout juste capables d’attraper des grenouilles dans les près…Elle me persuada qu’il fallait plutôt rencontrer le martin.
Le martin est une flèche turquoise qui habite un terrier dans la berge meuble de la rivière. Il se montra très sympathique mais d’une vivacité telle que ses explications compliquées, à elles seules, me firent mal au crâne. Pour ne pas être désobligeant, et parce que je suis poli, j’acceptai d’essayer de le suivre un moment malgré tout dans sa quête de minuscules poissons ; mais rien ne se passa comme il le souhaitait. Je commençai par m’empêtrer les ailes dans le dédale inextricable de son domaine, avant d’échouer lamentablement la tête entre les pattes dans la tentative désespérée d’un demi tour sur place. J’étais bien incapable de le suivre dans le tourbillon de ses vols au ras de l’eau et encore moins en mesure de plonger en piqué sur les minuscules proies ; je ne suis pas équipé du bec qu’il faut pour cela. Le petit oiseau s’aperçut, un peu déçu, de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions.
Il se concerta avec la bergeronnette et ils me conseillèrent de continuer à voler en suivant le cours de l’eau jusqu’au grand lac. Je trouverais là-bas, d’après eux, des oiseaux capables de m’enseigner l’art de la pêche.
Ce fut compliqué de quitter les bords de la rivière. Heureusement, une brise thermique s’élevant au dessus d’une clairière proche abrégea le ridicule de ma situation difficile. Mon immense envergure s’accommode mal avec la marche !
J’enroulai avec délectation l’onde chaude en orbes serrés qui m’amenèrent en quelques instants très haut dans le ciel …
En direction du levant, je distinguai une ligne claire bordée du vert sombre d’une forêt de conifères ; le ruban ondulant de la rivière venait y mourir en un large éventail d’eaux troublées.
A l’aplomb de ce delta, je remarquai une très grande activité.
La rencontre des eaux froides, chargées d’alluvions arrachées à la montagne, et des eaux limpides du lac, plus chaudes, formait des tourbillons où une myriade d’oiseaux se chamaillait à grands cris.
Les plus nombreux, j’appris plus tard qu’il s’agissait de mouettes, formaient un tapis gris et blanc, fuyant d’un bloc sonore à la moindre alerte. Se posant tantôt sur l’eau, tantôt sur les branches nues d’un gros arbre délavé déposé là par une crue.
Sur un bloc erratique un peu plus loin du rivage, quelques cormorans faisaient sécher leurs plumes. L’un d’eux que j’avais vu plonger émergea la tête en avant, une queue frétillante de poisson dépassant de son bec, le gosier dilate au passage de la proie.
Alors que je m’apprêtais à aller vers eux, un rapace au ventre blanc avec un curieux bandeau noir sur l’œil, fila en rasant l’eau à la barbe des cormorans. Il sembla se poser avec violence et je crus un instant qu’il allait se noyer : mais de quelques puissants coups d’ailes, dans un grand éclaboussement, il était déjà reparti en soulevant une nuée de gouttelettes, emportant entre ses serres un énorme poisson gigotant dont les écailles lançaient des éclats d’argent.
Le chasseur, enfin, le pêcheur, se dirigea vers un très grand frêne où il commença à dévorer son butin.
C’était un oiseau loquace qui avait beaucoup voyagé. Il m’expliqua entre deux becquées goulues les périples de ses migrations, les dangers des cols embrumés, la beauté des paysages, l’immensité de la mer… Le balbuzard, puisque c’est ainsi qu’il se présenta, me fit goûter à son poisson. Eh bien mes amis…Je l’ai aussitôt recraché !
Quand je pense que j’avais fait tout ce voyage pour ça !
Décidément il était inutile de songer à pêcher : Gypaète je suis, en gypaète je devais me comporter et continuer inlassablement à débarrasser la montagne de ses carcasses.
Tandis que le grand vautour s’était laissé aller à raconter son aventure, une petite troupe de chocards s’était installé pour l’écouter.
Sortant tout à coup de sa rêverie éveillée, le grand oiseau s’ébroue…
Effrayés, d’un seul mouvement, ils s’envolent tous comme une partition de croches.
Traits noirs sur le gris des roches d’où jaillissent des sifflements qui font penser à la résonance de cailloux jetés sur une mare gelée.
Le ciel se déchire, le soleil chauffe enfin, une brise encourage mes rémiges à s’ouvrir, je vais pouvoir décoller.
J’adore voler !
J’éprouve un plaisir immense à raser les parois où des grimpeurs s’évertuent à ramper ; je sais qu’ils m’envient et m’admirent. Mais je suis ici grâce à eux, c’est normal que je leur restitue un peu d’affection en restant dans ces montagnes et en allant les saluer.
Vous le dire aujourd’hui, c’est aussi un pas vers eux. Quand nos regards se croisent, je ressens que nous avons tous notre place ici, de l’humble fourmi à l’ours, du colchique à la ronce, du moineau à l’aigle, de la souri au loup, de l’homme au gypaète…J’ai le sentiment que nous pouvons communiquer et vivre ensemble.
Là-haut, sur notre nid de branches et de laine, ma femelle couve notre unique œuf, promesse de vie que nous espérons enfin mener à terme, cela fait déjà deux années que nous échouons…
Serons-nous de bons parents ?
Il y en a un plus clair que les autres, des galets tournoient sans fin, creusant dans ma conscience d’oiseau un monde libre…
Des yeux dans la nuit
Vingt- neuf septembre 2002, dix- huit heures. C’est un beau jour de brame dans les Voirons, un grand huit cors est un peu au-dessus de moi dans une clairière pentue. Il est accompagné de plusieurs biches qu’il rassemble à grands cris ; un peu partout alentour, d’autres cerfs font retentir la forêt de rugissements impressionnants. Je ne bouge pas, plaqué contre un arbre, les genoux enfoncés dans la mousse, je vis cette rencontre annuelle comme un retour aux sources : quelque part du tréfonds de mes gènes remontent les souvenirs de temps révolus où nos ancêtres faisaient corps avec la nature, pour s’en nourrir ou pour la fuir, mélange de peur et d’admiration.
Un rouge-gorge vient m’observer, curieux, presque culotté. Il hoche la tête en s’approchant de branche en branche, facétieuse boule de plumes dans la brume d’automne qu’irise une lumière pâle, presque verte.
Je ne l’ai pas entendu arriver, il passe à quelques mètres en remontant le long d’un ancien chemin, furetant de part et d’autre à la recherche de quelque rongeur ? … C’est un beau renard, son allure lui donne l’air de flotter au dessus du sentier, c’est à peine si je perçois son pas quand il arrive à ma hauteur.
Tout à coup il s’arrête ; une saute de vent lui a porté mon odeur. D’un bond, il détale dans la pente en une fuite rapide et silencieuse, éclair roux dans la forêt humide .
Nous avons tous à raconter de ces rencontres souvent brèves avec l’ami goupil. Il fait partie de notre univers quotidien ; on l’aperçoit souvent dans les prés juste après les foins, mulotant dans l’herbe rase. La nuit, ses yeux luisent dans la lumière de nos projecteurs automobiles. Trop souvent d’ailleurs, il est victime de la route, tout comme les hérissons, les blaireaux et bien d’autres animaux … Au printemps, il n’est pas rare au cours d’une balade de voir des petits, insouciants des dangers, qui jouent à se mordiller et à se poursuivre … Nous vivons côte à côte mais nous le connaissons mal .
Pour comprendre un peu son intimité, nous allons faire un bout de chemin avec le renard, de forêts en clairières, de haies en prairies.
Dans le Roman de Renart ( du francique Rheinhart - contraction de Reginhart - qui signifie « invincible par sa ruse » - ), écrit entre 1150 et 1250, Renard occupe déjà une place de choix dans l’imaginaire populaire . Il personnalise un héros ambigu qui symbolise le panache et une moralité condamnable. Avec les fables de La Fontaine, il acquiert définitivement le statut de personnage rusé, à la fois sournois et sympathique. Cela est-il dû à son faciès ; museau fin et allongé, yeux obliques, « sourire » en coin, que par anthropomorphisme nous lui ayons attribué ces traits de caractère ? Ce qui est certain, c’est qu’il a une fantastique capacité d’adaptation : il ne semble pas que le renard soit plus « rusé » qu’un autre canidé, mais il est peut être moins prévisible que d’autres, discret, très vigilant et apte à ne pas faire deux fois la même erreur . Fabrice Cahez exprime admirablement ces aptitudes dans son livre intitulé «Terre de renard ». Cet opportuniste-né a résisté aux pires persécutions. Au plus fort du massacre (deux millions de renards tués entre 1968 et 1991) entrepris en vain pour lutter contre l’avance de la rage, il a continué à proliférer, colonisant de nouveaux territoires, souvent tout près des hommes et parfois même jusqu’au cœur des cités (il s’est implanté rapidement sur l’île de Noirmoutier dés la construction du pont et il fut l’un des premiers à utiliser le tunnel sous la Manche !) .
On ne sait pas combien d’animaux vivent en France, tout au plus connaît-on quelques densités dans des zones où il a été étudié. En Haute Savoie, département considéré indemne de la rage (arrêté ministériel du 15 oct. 1991) grâce aux campagnes de vaccinations entreprises à partir de 1980, le renard est encore classé « animal nuisible » comme dans de nombreux autres départements.
Dés qu’il s’aventure en dehors des réserves, il risque sa peau durant toute la période de chasse. Qu’est-ce qui autorise nos « pensants » à décréter que le renard est nuisible ? Même certains chasseurs sensés (si, si, il y en a…) écrivent : « c’est une utopie de croire que les populations de perdrix redeviendront abondantes en faisant disparaître les prédateurs. Les prédateurs prélèvent ce qu’ils doivent prélever, jouant ainsi leur rôle. Le pire des fléaux est l’appauvrissement du milieu » - Connaissance de la chasse n° 240 d’avril 1996 –
En réalité, que consomme le renard, ce détestable « voleur » de poules !?
Il mange 6 à 10 000 rongeurs par an, contribuant à limiter l’infestation des prairies par les mulots et les campagnols. Des poules ? Oui, bien sûr ; si elles ne sont pas protégées par un enclos grillagé efficace et enfermées la nuit dans un poulailler. Robert Hainard écrivait à ce sujet, «Le refus du renard, c’est le refus de la prédation, une loi essentielle de la nature. Qu’on protège sa volaille, c’est juste ! Vouloir le faire en éliminant les renards, c’est comparable au possesseur d’une aquarelle de maître qui voudrait la laisser sur sa table de jardin et prétendrait faire supprimer la pluie». Il en va de même des faisans et autres volatiles d’élevages relâchés pour le seul plaisir de la chasse. Ces animaux inadaptés à la vie sauvage n’ont pas leur place dans la nature. Le renard intervient, bien naturellement en les « prédatant » plus facilement que d’autres proies du fait de leur plus grande vulnérabilité. Les lapins et les oiseaux sauvages qui connaissent leur territoire auront plus de risque de devenir des proies s’ils sont âgés, malades, blessés. « Le renard – policier sanitaire – participe naturellement à l’équilibre de la vie » Bulletin de l’INRA N°29 de décembre 1996 . Son alimentation varie beaucoup en fonction de la saison et des ressources ; vers de terre, sauterelles, escargots, grenouilles, rarement de jeunes chevreuils, des gallinacés ou des lapins, souvent des charognes, très souvent des fruits, nos poubelles ! … Mérite-t-il son étiquette de nuisible ? N’est-ce pas l’homme qui, en provoquant des déséquilibres dans les chaînes alimentaires contribue à la prolifération d’espèces qui deviennent incontrôlables ? Et comme il faut bien argumenter la poursuite des destructions, c’est parce qu’il est porteur de l’échinococcose qu’on dénonce aujourd’hui le renard. Madame Bachelot (ministre de l'écologie en 2002 !) va être contente !…
Un peu de biologie :
La courte vie du renard (2 à 4 ans en moyenne) débute au mois de mars tout au fond d’un terrier plus ou moins vaste. Une cinquantaine de jours après de brefs amours hivernaux, la renarde met au monde 3 à 8 renardeaux (le nombre dépend entre autre de la quantité de proies potentielles) de couleur gris-chocolat qu’elle allaite pendant un mois tandis que le mâle recherche la nourriture. Le renard creuse rarement lui-même son terrier ; généralement, il aménage un abri creusé par d’autres mammifères (blaireau, lapin, marmotte…) -Blaireaux et renards partagent souvent le même terrier-. Il peut également s’installer dans une cavité naturelle ou une construction humaine. Le terrier est utilisé pour la mise-bas, comme refuge en cas de danger ou de mauvais temps, il y stocke également des proies.
Les premiers aliments carnés que reçoivent les petits ont été prédigérés par la mère qui les régurgite. Ce n’est que vers un mois que les adultes apportent des petites proies. Ce sevrage marque le début de l’apprentissage de la vie ; en mai, les jeunes passent beaucoup de temps devant le terrier à jouer avec la nourriture et à exercer leurs forces dans d’incessants simulacres de luttes. Petit à petit, ils prennent la teinte rousse des adultes, de la tête vers le dos. Leurs pattes s’allongent, ils cherchent de plus en plus souvent à s’éloigner du terrier.
L’éducation des jeunes ne va pas sans pertes. Il est rare que survivent plus de deux ou trois renardeaux d’une même portée. Dans les semaines critiques de la fin de l’été où ils deviennent indépendants, voitures, pièges, maladies se chargeront d’en éliminer encore quelques uns (il n’y a pas vraiment de prédateur naturel du renard, à l’exception du loup, du lynx et de l’aigle, tous animaux plutôt rares).
Quatre mois se sont écoulés depuis la douce quiétude des flancs de la mère et des longues périodes de sieste tout en boule entre frères et sœurs. L’automne marque l’émancipation et la recherche d’un territoire (La superficie territoriale d’un couple de renard est très variable et dépend directement des ressources en nourriture. Elle varie de 150 à 600 hectares). Au cours des sorties d’apprentissage avec les adultes (surtout le mâle), les jeunes ont expérimenté les techniques de chasse et les bases de leur autonomie (même si l’essentiel de leur comportement est inné).
Désormais, avec les premiers froids, ils vont devoir affronter seul la vie de renard.
La plupart ne s’éloigneront pas beaucoup, d’autres iront s’installer jusqu’à 50 kilomètres de leur terrier de naissance, mais il arrive aussi que certains restent au contact des adultes avec lesquels ils vont entretenir des relations de clan (on connaît encore mal les rapports qu’entretiennent entres eux les renards d’une communauté élargie).
Le marquage du territoire se fait par les cris, l’urine et surtout par le dépôt des crottes sur des monticules (souches, pierres …) . Lorsqu’il glapit, le renard émet des vocalises diverses. C’est surtout au moment du rut que le mâle parcourt son territoire en tout sens, jetant dans les nuits d’hivers des cris qui ressemblent à des aboiements rauques, étranglés et plutôt brefs. Il semble y avoir un certain nombre de modulations utilisées pour alerter, signaler, agresser…
Quel avenir pour Goupil ?
Il est déjà loin le temps de la chasse à la fourrure et malgré son statut de nuisible, il ne semble actuellement pas en danger . La question qui se pose est : une régulation naturelle est-elle possible ? A cette question, Jean-François Desmet, biologiste du GRIFEM (groupe de recherche et d'information sur la faune et les écosystèmes de montagne basé à Samoëns) répond.
« Tout d’abord, dire qu’un animal est "nuisible" sans préciser par rapport à quoi ou à qui est un non-sens scientifique.
Tout au plus, ceci peut être justifié à partir du moment où de tels propos sont au préalable clairement précisés et surtout solidement argumentés : pour illustration de ces remarques, dans certains cas, il se peut « qu’un trop grand nombre de cervidés concentrés dans un secteur est nuisible aux activités agricoles ou forestières humaines », « qu’un trop grand nombre local de renards est nuisible au maintien d’une population de tétras »,… Encore faut-il avoir les moyens de le prouver.
Pour prendre un exemple particulier, des recherches poursuivies depuis plusieurs années sur le lagopède alpin semblent montrer que le renard peut exercer une pression non négligeable, voire importante, sur certaines populations de ce tétras dans des secteurs de montagne sur fréquentés par les randonneurs ; la population de renards paraît être particulièrement et artificiellement élevée dans de telles zones, profitant de l’abondance de déchets comestibles laissés à disposition par l’homme (restes de casse-croûtes, ordures à proximité de chalets ou de refuges,…). L’impact de la prédation effectuée par ce canidé sur ses proies doit en être logiquement accrue !… Comme chez tout prédateur, les populations de renard paraissent très liées aux ressources alimentaires disponibles ; une année durant laquelle il y a beaucoup de micro mammifères (campagnols, mulots,…), les portées de renard seront plus importantes et la survie des jeunes plus assurée … Par ailleurs des dénombrements rigoureux de renards permettant d’évaluer précisément leur niveau de population sont difficiles à effectuer. En l’absence de telles données chiffrées et de l’évaluation précise de l’impact sur les populations de proies, il n’est pas possible de déterminer le seuil à partir duquel, d’un point de vue biologique, le renard (et ceci est vrai pour n’importe quel autre animal) se porte mal ou bien, ou encore constitue une menace vis à vis d’une ou de plusieurs espèces …
Le législateur qui le classe « nuisible » ne prend souvent en compte, et encore très partiellement, que quelques aspects économiques humains ponctuels et bien visibles déconnectés du bon fonctionnement global, plus difficilement préhensible, des écosystèmes ».
Méconnaître est souvent source de peurs et de haines injustifiées ; j’espère que ces quelques lignes vous donneront envie de croiser autrement le regard malin de Goupil, des yeux dans la nuit qui nous invitent à une paix durable …
Philippe MUNIER Habère-Poche, le 15 12 02
Remerciements chaleureux à Jean-François Desmet pour sa contribution.
Bibliographie :
Mammifères sauvages d’Europe : Robert Hainard ( Delachaux et Niestlé )
Terre de renard : Fabrice Cahez (Gérard Louis)
Le renard… Tout un roman ! Museum d’histoire naturelle de Dijon
CARTE D’IDENTITE
Nom : Renard roux ( Vulpes vulpes ) qui a donné son nom au Vulpin, poacée à panicule en forme de queue de renard .
Ordre : Carnivore
Famille : Canidés (mais avec des caractéristiques de félin ! griffes semi-rétractiles, pupilles fendues verticalement en pleine lumière et ronde dans l’obscurité, surface réfléchissante à l’arrière de l’œil qui renvoie la lumière, permettant une bonne performance visuelle dans la pénombre, nombreux poils tactiles).
Taille : 1 m 20 queue comprise, (particulièrement longue, elle assure le rôle de contrepoids, elle permet au renard de réaliser des virages performants, l’hiver, plus touffue, elle apporte une protection thermique supplémentaire).
Poids : 5 kg en moyenne
Couleurs : il existe de nombreuses variations. Les pattes ont toujours les extrémités noires. A dominante foncée, on le dit charbonnier.
Maturité sexuelle : 9 mois
Une grande famille : renard polaire, renard bleu (isatis), renard corsac, renard véloce, fennec ...
Vingt- neuf septembre 2002, dix- huit heures. C’est un beau jour de brame dans les Voirons, un grand huit cors est un peu au-dessus de moi dans une clairière pentue. Il est accompagné de plusieurs biches qu’il rassemble à grands cris ; un peu partout alentour, d’autres cerfs font retentir la forêt de rugissements impressionnants. Je ne bouge pas, plaqué contre un arbre, les genoux enfoncés dans la mousse, je vis cette rencontre annuelle comme un retour aux sources : quelque part du tréfonds de mes gènes remontent les souvenirs de temps révolus où nos ancêtres faisaient corps avec la nature, pour s’en nourrir ou pour la fuir, mélange de peur et d’admiration.
Un rouge-gorge vient m’observer, curieux, presque culotté. Il hoche la tête en s’approchant de branche en branche, facétieuse boule de plumes dans la brume d’automne qu’irise une lumière pâle, presque verte.
Je ne l’ai pas entendu arriver, il passe à quelques mètres en remontant le long d’un ancien chemin, furetant de part et d’autre à la recherche de quelque rongeur ? … C’est un beau renard, son allure lui donne l’air de flotter au dessus du sentier, c’est à peine si je perçois son pas quand il arrive à ma hauteur.
Tout à coup il s’arrête ; une saute de vent lui a porté mon odeur. D’un bond, il détale dans la pente en une fuite rapide et silencieuse, éclair roux dans la forêt humide .
Nous avons tous à raconter de ces rencontres souvent brèves avec l’ami goupil. Il fait partie de notre univers quotidien ; on l’aperçoit souvent dans les prés juste après les foins, mulotant dans l’herbe rase. La nuit, ses yeux luisent dans la lumière de nos projecteurs automobiles. Trop souvent d’ailleurs, il est victime de la route, tout comme les hérissons, les blaireaux et bien d’autres animaux … Au printemps, il n’est pas rare au cours d’une balade de voir des petits, insouciants des dangers, qui jouent à se mordiller et à se poursuivre … Nous vivons côte à côte mais nous le connaissons mal .
Pour comprendre un peu son intimité, nous allons faire un bout de chemin avec le renard, de forêts en clairières, de haies en prairies.
Dans le Roman de Renart ( du francique Rheinhart - contraction de Reginhart - qui signifie « invincible par sa ruse » - ), écrit entre 1150 et 1250, Renard occupe déjà une place de choix dans l’imaginaire populaire . Il personnalise un héros ambigu qui symbolise le panache et une moralité condamnable. Avec les fables de La Fontaine, il acquiert définitivement le statut de personnage rusé, à la fois sournois et sympathique. Cela est-il dû à son faciès ; museau fin et allongé, yeux obliques, « sourire » en coin, que par anthropomorphisme nous lui ayons attribué ces traits de caractère ? Ce qui est certain, c’est qu’il a une fantastique capacité d’adaptation : il ne semble pas que le renard soit plus « rusé » qu’un autre canidé, mais il est peut être moins prévisible que d’autres, discret, très vigilant et apte à ne pas faire deux fois la même erreur . Fabrice Cahez exprime admirablement ces aptitudes dans son livre intitulé «Terre de renard ». Cet opportuniste-né a résisté aux pires persécutions. Au plus fort du massacre (deux millions de renards tués entre 1968 et 1991) entrepris en vain pour lutter contre l’avance de la rage, il a continué à proliférer, colonisant de nouveaux territoires, souvent tout près des hommes et parfois même jusqu’au cœur des cités (il s’est implanté rapidement sur l’île de Noirmoutier dés la construction du pont et il fut l’un des premiers à utiliser le tunnel sous la Manche !) .
On ne sait pas combien d’animaux vivent en France, tout au plus connaît-on quelques densités dans des zones où il a été étudié. En Haute Savoie, département considéré indemne de la rage (arrêté ministériel du 15 oct. 1991) grâce aux campagnes de vaccinations entreprises à partir de 1980, le renard est encore classé « animal nuisible » comme dans de nombreux autres départements.
Dés qu’il s’aventure en dehors des réserves, il risque sa peau durant toute la période de chasse. Qu’est-ce qui autorise nos « pensants » à décréter que le renard est nuisible ? Même certains chasseurs sensés (si, si, il y en a…) écrivent : « c’est une utopie de croire que les populations de perdrix redeviendront abondantes en faisant disparaître les prédateurs. Les prédateurs prélèvent ce qu’ils doivent prélever, jouant ainsi leur rôle. Le pire des fléaux est l’appauvrissement du milieu » - Connaissance de la chasse n° 240 d’avril 1996 –
En réalité, que consomme le renard, ce détestable « voleur » de poules !?
Il mange 6 à 10 000 rongeurs par an, contribuant à limiter l’infestation des prairies par les mulots et les campagnols. Des poules ? Oui, bien sûr ; si elles ne sont pas protégées par un enclos grillagé efficace et enfermées la nuit dans un poulailler. Robert Hainard écrivait à ce sujet, «Le refus du renard, c’est le refus de la prédation, une loi essentielle de la nature. Qu’on protège sa volaille, c’est juste ! Vouloir le faire en éliminant les renards, c’est comparable au possesseur d’une aquarelle de maître qui voudrait la laisser sur sa table de jardin et prétendrait faire supprimer la pluie». Il en va de même des faisans et autres volatiles d’élevages relâchés pour le seul plaisir de la chasse. Ces animaux inadaptés à la vie sauvage n’ont pas leur place dans la nature. Le renard intervient, bien naturellement en les « prédatant » plus facilement que d’autres proies du fait de leur plus grande vulnérabilité. Les lapins et les oiseaux sauvages qui connaissent leur territoire auront plus de risque de devenir des proies s’ils sont âgés, malades, blessés. « Le renard – policier sanitaire – participe naturellement à l’équilibre de la vie » Bulletin de l’INRA N°29 de décembre 1996 . Son alimentation varie beaucoup en fonction de la saison et des ressources ; vers de terre, sauterelles, escargots, grenouilles, rarement de jeunes chevreuils, des gallinacés ou des lapins, souvent des charognes, très souvent des fruits, nos poubelles ! … Mérite-t-il son étiquette de nuisible ? N’est-ce pas l’homme qui, en provoquant des déséquilibres dans les chaînes alimentaires contribue à la prolifération d’espèces qui deviennent incontrôlables ? Et comme il faut bien argumenter la poursuite des destructions, c’est parce qu’il est porteur de l’échinococcose qu’on dénonce aujourd’hui le renard. Madame Bachelot (ministre de l'écologie en 2002 !) va être contente !…
Un peu de biologie :
La courte vie du renard (2 à 4 ans en moyenne) débute au mois de mars tout au fond d’un terrier plus ou moins vaste. Une cinquantaine de jours après de brefs amours hivernaux, la renarde met au monde 3 à 8 renardeaux (le nombre dépend entre autre de la quantité de proies potentielles) de couleur gris-chocolat qu’elle allaite pendant un mois tandis que le mâle recherche la nourriture. Le renard creuse rarement lui-même son terrier ; généralement, il aménage un abri creusé par d’autres mammifères (blaireau, lapin, marmotte…) -Blaireaux et renards partagent souvent le même terrier-. Il peut également s’installer dans une cavité naturelle ou une construction humaine. Le terrier est utilisé pour la mise-bas, comme refuge en cas de danger ou de mauvais temps, il y stocke également des proies.
Les premiers aliments carnés que reçoivent les petits ont été prédigérés par la mère qui les régurgite. Ce n’est que vers un mois que les adultes apportent des petites proies. Ce sevrage marque le début de l’apprentissage de la vie ; en mai, les jeunes passent beaucoup de temps devant le terrier à jouer avec la nourriture et à exercer leurs forces dans d’incessants simulacres de luttes. Petit à petit, ils prennent la teinte rousse des adultes, de la tête vers le dos. Leurs pattes s’allongent, ils cherchent de plus en plus souvent à s’éloigner du terrier.
L’éducation des jeunes ne va pas sans pertes. Il est rare que survivent plus de deux ou trois renardeaux d’une même portée. Dans les semaines critiques de la fin de l’été où ils deviennent indépendants, voitures, pièges, maladies se chargeront d’en éliminer encore quelques uns (il n’y a pas vraiment de prédateur naturel du renard, à l’exception du loup, du lynx et de l’aigle, tous animaux plutôt rares).
Quatre mois se sont écoulés depuis la douce quiétude des flancs de la mère et des longues périodes de sieste tout en boule entre frères et sœurs. L’automne marque l’émancipation et la recherche d’un territoire (La superficie territoriale d’un couple de renard est très variable et dépend directement des ressources en nourriture. Elle varie de 150 à 600 hectares). Au cours des sorties d’apprentissage avec les adultes (surtout le mâle), les jeunes ont expérimenté les techniques de chasse et les bases de leur autonomie (même si l’essentiel de leur comportement est inné).
Désormais, avec les premiers froids, ils vont devoir affronter seul la vie de renard.
La plupart ne s’éloigneront pas beaucoup, d’autres iront s’installer jusqu’à 50 kilomètres de leur terrier de naissance, mais il arrive aussi que certains restent au contact des adultes avec lesquels ils vont entretenir des relations de clan (on connaît encore mal les rapports qu’entretiennent entres eux les renards d’une communauté élargie).
Le marquage du territoire se fait par les cris, l’urine et surtout par le dépôt des crottes sur des monticules (souches, pierres …) . Lorsqu’il glapit, le renard émet des vocalises diverses. C’est surtout au moment du rut que le mâle parcourt son territoire en tout sens, jetant dans les nuits d’hivers des cris qui ressemblent à des aboiements rauques, étranglés et plutôt brefs. Il semble y avoir un certain nombre de modulations utilisées pour alerter, signaler, agresser…
Quel avenir pour Goupil ?
Il est déjà loin le temps de la chasse à la fourrure et malgré son statut de nuisible, il ne semble actuellement pas en danger . La question qui se pose est : une régulation naturelle est-elle possible ? A cette question, Jean-François Desmet, biologiste du GRIFEM (groupe de recherche et d'information sur la faune et les écosystèmes de montagne basé à Samoëns) répond.
« Tout d’abord, dire qu’un animal est "nuisible" sans préciser par rapport à quoi ou à qui est un non-sens scientifique.
Tout au plus, ceci peut être justifié à partir du moment où de tels propos sont au préalable clairement précisés et surtout solidement argumentés : pour illustration de ces remarques, dans certains cas, il se peut « qu’un trop grand nombre de cervidés concentrés dans un secteur est nuisible aux activités agricoles ou forestières humaines », « qu’un trop grand nombre local de renards est nuisible au maintien d’une population de tétras »,… Encore faut-il avoir les moyens de le prouver.
Pour prendre un exemple particulier, des recherches poursuivies depuis plusieurs années sur le lagopède alpin semblent montrer que le renard peut exercer une pression non négligeable, voire importante, sur certaines populations de ce tétras dans des secteurs de montagne sur fréquentés par les randonneurs ; la population de renards paraît être particulièrement et artificiellement élevée dans de telles zones, profitant de l’abondance de déchets comestibles laissés à disposition par l’homme (restes de casse-croûtes, ordures à proximité de chalets ou de refuges,…). L’impact de la prédation effectuée par ce canidé sur ses proies doit en être logiquement accrue !… Comme chez tout prédateur, les populations de renard paraissent très liées aux ressources alimentaires disponibles ; une année durant laquelle il y a beaucoup de micro mammifères (campagnols, mulots,…), les portées de renard seront plus importantes et la survie des jeunes plus assurée … Par ailleurs des dénombrements rigoureux de renards permettant d’évaluer précisément leur niveau de population sont difficiles à effectuer. En l’absence de telles données chiffrées et de l’évaluation précise de l’impact sur les populations de proies, il n’est pas possible de déterminer le seuil à partir duquel, d’un point de vue biologique, le renard (et ceci est vrai pour n’importe quel autre animal) se porte mal ou bien, ou encore constitue une menace vis à vis d’une ou de plusieurs espèces …
Le législateur qui le classe « nuisible » ne prend souvent en compte, et encore très partiellement, que quelques aspects économiques humains ponctuels et bien visibles déconnectés du bon fonctionnement global, plus difficilement préhensible, des écosystèmes ».
Méconnaître est souvent source de peurs et de haines injustifiées ; j’espère que ces quelques lignes vous donneront envie de croiser autrement le regard malin de Goupil, des yeux dans la nuit qui nous invitent à une paix durable …
Philippe MUNIER Habère-Poche, le 15 12 02
Remerciements chaleureux à Jean-François Desmet pour sa contribution.
Bibliographie :
Mammifères sauvages d’Europe : Robert Hainard ( Delachaux et Niestlé )
Terre de renard : Fabrice Cahez (Gérard Louis)
Le renard… Tout un roman ! Museum d’histoire naturelle de Dijon
CARTE D’IDENTITE
Nom : Renard roux ( Vulpes vulpes ) qui a donné son nom au Vulpin, poacée à panicule en forme de queue de renard .
Ordre : Carnivore
Famille : Canidés (mais avec des caractéristiques de félin ! griffes semi-rétractiles, pupilles fendues verticalement en pleine lumière et ronde dans l’obscurité, surface réfléchissante à l’arrière de l’œil qui renvoie la lumière, permettant une bonne performance visuelle dans la pénombre, nombreux poils tactiles).
Taille : 1 m 20 queue comprise, (particulièrement longue, elle assure le rôle de contrepoids, elle permet au renard de réaliser des virages performants, l’hiver, plus touffue, elle apporte une protection thermique supplémentaire).
Poids : 5 kg en moyenne
Couleurs : il existe de nombreuses variations. Les pattes ont toujours les extrémités noires. A dominante foncée, on le dit charbonnier.
Maturité sexuelle : 9 mois
Une grande famille : renard polaire, renard bleu (isatis), renard corsac, renard véloce, fennec ...